Monsieur Plan B
À mon arrivée à Moshannon Valley Correctional Center (MVCC) j’ai rencontré Joe (le nom a été changé). Il était dans le même dortoir que moi. Il m’a expliqué les règles et il était bien gentil. C’est lui qui m’a parlé du docteur de la prison.
C’était un gars de Montréal d’origine italienne. Pour lui c’était bien important. À force de le fréquenter j’ai constaté qu’il détestait les québécois. Dès le début il me disait que j’étais un PQ. J’avais beau lui dire qu’il y avait si longtemps que je n’avais pas voté que je ne me souvenais pas pour qui je l’avais fait. J’étais à un moment de ma vie où je n’avais pas d’opinion sur la séparation (depuis Harpes, ça a bien changé). Il ne voulait rien comprendre et argumentait toujours avec les québécois à propos de tout. Il a voulu se battre avec presque tous les québécois pour toutes sortes de raisons. Il n’était pas très apprécié.
C’était quand même un canadien et il est important de se respecter entre nous. De plus, il s’entendait bien avec les canadiens anglais.
D’après ce que j’ai pu comprendre, son père, qui œuvre dans la construction, lui aurait acheté une maison d’une valeur d’environ 500 000$ lorsqu’il s’est marié. Il a voulu jouer à l’italien mafioso et a tout hypothéqué pour investir dans toutes sortes d’aventures avec lesquelles il n’avait pas de talent. Tout ça l’a amené en prison.
Sa femme était gestionnaire dans une grande entreprise internationale et devait voyager beaucoup. Joe l’appelait souvent (plusieurs fois par jour) et elle n’était jamais là, même quand elle devait normalement être à la maison. Un autre québécois qui était là nous a parlé de quelqu’un qui connaissait la femme de Joe. Il paraîtrait qu’elle en profitait car Joe était un gars très jaloux qui l’empêchait de sortir lorsqu’il était là même si lui nous parlait sans cesse des escortes et les salons de massage qu’il fréquentait. Pendant les années que j’ai passées là, je n’ai pas eu connaissance que sa femme soit venue le visiter.
Sa femme s’est retrouvée seule avec une hypothèque de 3000$ par mois à payer. Joe m’a dit que son père payait pour tout. « Il n’est pas question qu’une femme paie pour ma maison ». De là est venue la blague de « Plan B ». On se disait que même si sa femme voulait le laisser, pourquoi le faire tout de suite? Elle pouvait s’amuser, voir qui elle voulait et les parents de Joe payaient pour tout. Si elle avait l’intention de le quitter, aussi bien attendre, tout à coup qu’elle aurait besoin de lui lorsqu’il sortirait. On appelait les gens qui avaient des femmes qui les « attendaient » des Plan B.
Joe savait que j’avais eu une entreprise payante et il me posait des questions sans arrêt. Il fallait toujours que je lui explique que ce qu’il voulait faire était illégal et qu’il retournerait en prison. Un de ces plans était de faire faire des biscuits au pot par sa belle-mère et les vendre sur Internet ou mettre de la cocaïne dans des bouteilles de produits cosmétiques. Ça me dépassait de voir à quel point il était stupide. Il me disait : « si personne le sait qu’il y a de la coke dans les bouteilles je ne me ferai pas prendre ». Il fallait que je lui explique que si personne ne le savait, personne n’en achèterait.
Je lui disais de se calmer, de travailler avec son père dans la construction et il me disait qu’il avait besoin de faire beaucoup d’argent pour pouvoir garder sa femme.
À un moment donné il a discuté avec un camionneur du Nouveau-Brunswick pour faire venir cargaisons de bois de chauffage à Montréal. Les discussions allaient bien jusqu’à ce qu’il demande de mettre de la drogue dans les camions (mais pourquoi?)
Je suis arrivé à MVCC en septembre 2009. Ça faisait un an qu’il y était. Il était sûr d’être transféré en décembre. Je lui ai moi aussi parlé du transfert et il m’a dit d’oublier ça, qu’avec mon histoire qui avait été aussi médiatisée, je ne l’aurais jamais le transfert. Je n’argumentais pas avec lui.
Mon transfert a été refusé par les américains et il était bien content, ça prouvait qu’il avait raison.
Comme je l’ai déjà expliqué, les dortoirs sont jumelés et on peut traverser d’un dortoir à un autre dans le jour. Quand je suis arrivé il devait y avoir 8 québécois dans ces deux dortoirs (j’étais seul à la fin). Il a eu tellement de problèmes avec tout le monde qu’il a finalement demandé à changer de secteur. Ça a fait du bien à tout le monde. On ne le voyait presque plus.
J’ai continué à faire des démarches et des pressions à tous les niveaux. Les États-Unis ont fini par m’approuver et, moins d’un mois plus tard, le Canada aussi. Ça ça l’a jeté sur le cul. Ça faisait plus de trois ans qu’il attendait l’approbation du Canada.
Là où c’est devenu moins drôle est lorsqu’il a été accepté lui aussi quelques semaines plus tard. On ferait donc le voyage ensemble. Ça a brisé mon bonheur pas mal.
Le voyage de retour vers le Canada a duré quatre semaines. Il ressentait une urgence de préparer quelque chose pour gagner sa vie en sortant de prison. Il me bombardait de questions sur des trucs illégaux encore. C’était épuisant. Lorsque nous sommes arrivés à Ray Brook dans l’état de New York, il a rencontré d’autres italiens et il passait ses journées avec eux à planifier je ne sais quoi. Sur le transfert avec nous il y avait d’autres gens de Montréal avec des talents différents. Il leur a tous offerts un genre de collaboration. Imbécile! Tu ne parles pas de choses comme ça avec des gens que tu ne connais même pas. Tu peux bien terminer en prison.
Lors de ce voyage il m’a parlé d’une idée de site Internet qu’il avait eue. Il voulait offrir des forfaits pour des voyages à Montréal. Comme un « package » qui comprendrait les billets pour le Grand Prix, des restaurants, spectacles et un chauffeur pour déplacer les clients. Je ne savais pas si c’était une bonne idée mais je me disais qu’il me cachait quelque chose. J’ai fini par comprendre lorsqu’il m’a dit que le chauffeur offrirait de la drogue et des prostituées aux clients.
Lorsque je suis arrivé au Canada j’ai demandé à ne pas être avec lui. Je ne voulais plus le voir. À la maison de transition j’ai rencontré des gens qui étaient avec lui en prison. Il continuait toujours sa « quête », le truc pour faire de l’argent facile.
Il y a des gens qui n’ont pas les facultés intellectuelles pour comprendre la leçon. Cinq ans de prison dans des conditions difficiles n’ont pas été suffisantes. C’est vrai qu’ayant fait son temps aux États-Unis et pas assez au Canada pour bénéficier de programmes, il n’était pas équipé pour devenir un membre modèle de la société.
Et c’est dans cette direction que notre pays se dirige, avec Harpes aux commandes.
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