Comment ne pas se mettre le pied dans la bouche
Lorsqu’on arrive en prison, on ne connaît pas les règles et il peut être facile de ne pas dire la bonne chose. Il y a quelques années il pouvait être dangereux au Canada de dire à un autre détenu qu’il était un cochon ou qu’il mangeait comme un cochon. Le mot cochon étant réservé pour les policiers. Lors de mon arrestation j’ai été très prudent dans mes propos les premiers jours. Après ces quelques jours j’ai commencé à me tenir avec un autre détenu qui avait passé une vingtaine d’années en prison. Un jour, pendant que nous mangions, j’ai remarqué qu’il mangeait très vite et, pour le taquiner, je lui ai dit qu’il mangeait comme un cochon. Oups! Le gars a arrêté de manger et a regardé autour de lui. Il m’a ensuite dit : « Tu es chanceux que personne n’ait entendu, j’aurais été obligé de te frapper ». La prison est comme ça, plein de codes qu’il faut apprendre.
Tout ça pour dire que le meilleur moyen de ne pas se mettre le pied dans la bouche (je sais que c’est une expression anglaise) est tout simplement de la garder fermée.
Voici donc l’anecdote que je voulais raconter à ce propos :
À Moshannon Valley Correctionnal Center il y avait un autre québécois (Claude, mais pas celui qui a été dans mon secteur) qui avait une grande gueule. Un gars qui n’était pas allé longtemps à l’école mais qui savait tout. Il n’était pas raciste du tout mais il disait souvent des choses qui auraient pu le mettre dans le trouble. Heureusement Moshannon Valley est une prison « low security » et les gens ne veulent pas de problèmes. Alors il disait souvent des commentaires stupides mais les gens le laissaient parler. Il y avait aussi une autre chose qui nous aidait, nous les « blancs », même si on n’était qu’une centaine sur 1500 détenus: beaucoup de gardiens étaient racistes et il était évident qu’on pouvait se permettre plus de choses que les autres. Alors les autres avaient tendance à nous laisser tranquille. C’est triste mais c’est ainsi. Il n’y avait aucun employé noir, hispanique, asiatique ou autre chose que blanc dans toute la prison.
Alors je disais souvent à Claude qu’un jour il se mettrait le pied dans la bouche s’il parlait toujours sans réfléchir comme ça.
J’ai finalement eu mon transfert et j’ai quitté vers le Canada avant lui. Il a eu son transfert le « voyage » suivant (il y a quatre transferts par année des États-Unis vers le Canada). Il m’a écrit pour me dire comment ça c’était passé. Le transfert vers le Canada est un voyage long et pas facile mais heureusement on sait qu’on revient à la maison et on est habituellement avec d’autres canadiens (nous étions 11) et ça rend les choses plus tolérables. Tout ceux qui sont transférés vers la partie Est du Canada passent par la prison de RayBrook dans l’état de New York. On y passe environ trois semaines.
C’est une prison à sécurité medium et les règles sont très différentes de Moshannon Valley. Il y a beaucoup de tension entre les races. Par exemple les blancs n’ont pas le droit de s’asseoir avec les autres races à la cafétéria. Pour des canadiens c’est difficile à comprendre. Ray Brook est situé sur le site olympique de Lake Placid. La vue est très belle et il paraîtrait qu’on couchait dans les chambres des athlètes.
Claude est donc arrivé dans cet établissement sans filtre sur la bouche. Il a été assigné dans une cellule de six personnes. Il était avec 5 autres personnes de race noire. C’est le genre de choses qui ne le dérange pas du tout. Son problème est qu’il ne choisit pas toujours les bons mots pour s’exprimer.
En prison, beaucoup de gens découvrent la religion et beaucoup d’afro-américains choisissent d’être musulmans. Je ne connais pas beaucoup cette religion mais, en prison, les musulmans avaient la permission d’acheter une huile parfumée. Une autre chose que j’ai aussi remarquée est que les afro-américains aiment se mettre de la lotion sur le corps. Ils mélangent donc cette huile parfumée avec leur lotion et s’en mettent ensuite partout sur le corps.
Alors voilà mon Claude qui arrive dans cette cellule et il trouve que ça sent très fort. Il ne pense pas deux secondes et va voir le gardien en charge du secteur et lui dit : « Je ne peux pas rester dans cette cellule, ça pue! » Pour lui cela n’a tellement pas rapport avec la race des gars qui sont dans la cellule qu’il n’a même pas remarqué que le gardien aussi était noir. Le gardien, lui, a fait le lien. Ça n’a pas pris beaucoup de temps pour qu’on mette Claude dans le trou pour sa « protection ». Il y est resté jusqu’à ce qu’on le transfère au Canada. Malgré tout ça je suis sûr qu’il n’a toujours pas compris et qu’il parle toujours à tort et à travers.