Mon histoire


J’étais au Centre régional de réception lorsque j’ai reçu un rapport de la Commission des plaintes du public contre la GRC. J’avais fait une plainte presque deux ans plus tôt et voilà que j’obtenais une réponse. Ça faisait déjà plus de cinq ans que j’étais en prison dans des conditions pas faciles et on me disait maintenant que je n’avais enfreint aucune loi! Les rapports de continuation (certains extraits plus bas) dont il est question ont été rédigés par la GRC AVANT mon arrestation. On savait avant de m’arrêter que je n’avais commis aucun crime.

Je n’expliquerai pas tout en détail car ce serait une trop longue histoire.

À la fin des années 90 j’ai reçu des demandes de plusieurs personnes sur Internet pour obtenir certains produits chimiques. Ces gens savaient qu’il était facile pour moi de me les procurer. Je me suis informé auprès de Santé Canada et la GRC où on m’a confirmé qu’il n’existait aucune loi à propos de ces produits. J’ai donc décidé d’en vendre. Au début c’était pour dépanner et je croyais faire un maximum de 100$ par semaine.

Au cours des années suivantes je me suis encore informé auprès des mêmes agences. À une occasion des « gendarmes » (encore ce mot comique) sont venus me voir chez moi pour encore me confirmer que tout était légal au Canada et aux États-Unis.

Pendant toutes ces années ces « gendarmes » ont rédigées des rapports de continuation. Il y en a eu des dizaines, rédigés par un paquet de monde. Aucune loi entre la rédaction de ces documents et mon arrestation n’a changé. En voici deux extraits (le deuxième a été rédigé moins d’un an avant mon arrestation) :

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J’aimais beaucoup cette entreprise car je pouvais faire des sites web, apprendre sur le commerce en ligne etc. C’est devenu très payant et j’ai quitté mon emploi de consultant en télécommunication. Ce n’est pas l’argent qui me motivait mais plutôt d’apprendre de nouvelles choses et d’avoir du succès. En fait, je ne savais même pas combien d’argent j’avais.

En 2002 je me suis fait arrêter au Canada par les mêmes gens qui m’avaient affirmé que je ne faisais rien d’illégal. Le lendemain la GRC a fait une conférence de presse et donné plusieurs entrevues à différents réseaux. Toujours le même discours: tout ce que nous faisions était légal sauf que nous mettions des recettes pour fabriquer des drogues dans les boîtes. C’est là que ça ne fonctionne pas. 475 colis avaient été saisis la semaine précédente et aucun ne contenait une recette. Le pire dans tout ça est qu’on voulait m’extrader vers les États-Unis.

J’ai passé 80 jours en prison avant d’être libéré sous caution.

Tout ça me semblait tellement évident. J’étais sûr qu’on me laisserait tranquille, qu’on verrait qu’il y avait eu une erreur. Je sais que plein de gens vont m’écrire pour me dire que mon histoire est impossible, que ça ne se peut pas. Je crois que les gens ont peur de croire que quelqu’un qui n’a rien fait d’illégal peut se retrouver en prison. Ça pourrait leur arriver.

J’ai été malchanceux avec une série d’avocats. Le premier a passé dans les journaux dernièrement et a été radié du barreau. Ensuite une autre est tombée enceinte et je ne l’ai plus jamais vue. Un autre m’a laissé tomber et il a fallu que les « gendarmes » aillent chercher mes documents chez lui car il ne répondait plus à qui que ce soit. Tous ces gens me coûtaient de l’argent et c’était à recommencer à chaque fois.

Pendant ce temps je continuais d’acheter les mêmes produits à la quincaillerie du coin ou de différents fournisseurs aux États-Unis. Ils ne m’étaient d’aucune utilité sauf pour démontrer qu’il était encore légal de les vendre.

J’ai finalement eu mon audition d’extradition en septembre 2005, trois ans après mon arrestation. La chimiste disait que les produits que nous vendions ne pouvaient servir qu’à produire des drogues. Lorsque mon avocat a commencé à lui montrer les dizaines de produits contenant les mêmes produits chimiques qui étaient toujours en vente, elle a dû venir à la conclusion qu’elle se trompait et qu’il y avait plein d’autres applications légitimes pour ce que nous vendions.

À la fin de la journée mon avocat m’a dit que nous avions toutes les chances de gagner car nous ne faisions que vendre des produits légaux. Il ne restait qu’à présenter les conclusions le lendemain matin. Il devait présenter tous les documents (les fameux rapports de continuation) où la GRC révèle que je ne faisais rien d’illégal.

On marchait dans la rue vers son bureau lorsque son téléphone a sonné. Il m’a dit qu’il fallait qu’il quitte parce qu’il avait une urgence personnelle.

Le lendemain matin il m’a appelé pour me dire qu’il venait d’être nommé juge (il est maintenant un juge très connu à la Cour supérieure). Il fallait que je me trouve un autre avocat. Je me suis donc retrouvé devant la juge qui m’a offert de recommencer ou de continuer où on en était avec un nouvel avocat. J’ai choisi de continuer avec un nouvel avocat. C’est clair dans la transcription.

J’ai eu de la difficulté à me trouver un nouvel avocat car le procureur refusait de les payer ce qu’ils demandaient (l’argent venait pourtant de mon argent saisi). J’en ai trouvé un qui m’a dit qu’il facturerait plus d’heures qu’il faisait en réalité.

Avec tous ces délais, la loi a changé et la vente des produits que nous offrions est devenue illégale. Le ministre de la Justice en a profité pour ajouter des chefs à l’arrêté introductif d’instance (c’est le document qui dit sur quels chefs la personne va être extradée). Il faut savoir qu’en extradition on peut être extradé pour quelque chose qui n’était même pas illégal lorsque les actes ont été commis. Le rôle du juge d’extradition est d’examiner les actes comme s’ils avaient été commis à la date d’émission de l’arrêté introductif d’instance. Donc les actes qui étaient légaux lorsque j’ai été arrêté étaient illégaux à la date de l’émission de ce nouvel arrêté. Je ne pouvais plus me défendre en disant que ce que je faisais n’était pas illégal car ça l’était maintenant.

Il a fallu que j’explique à mon avocat qu’un article de la Loi d’extradition dit que le ministre de la Justice peut ajouter des chefs tant que l’audition n’est pas commencée et que la mienne avait débuté en septembre 2005 alors que ce nouvel arrêté était daté de mars 2006. Il était donc invalide.

Malheureusement la juge (la même avec qui je m’étais entendu pour continuer) a décidé que c’était une nouvelle audition et que le nouvel arrêté était valide. Même le procureur était surpris. Mes actes devaient donc être examinés comme s’ils avaient été commis en mars 2006, presque quatre ans après mon arrestation. Je ne pouvais plus utiliser les documents de la GRC qui disaient que je ne faisais rien d’illégal.

La juge a décidé que je devais être extradé sur tous les chefs sauf un.

Je suis allé en appel de cette décision. Ma cause a été entendue à la Cour d’appel en juin 2007 et il a fallu que je retourne en prison pour attendre la décision.

En novembre 2007, tous mes présumés co-conspirateurs ont été acquittés. Ce que nous faisions n’était pas illégal. Tous mes biens et mon argent devaient m’être rendus car tout avait été saisi sous le prétexte que ça venait du « crime » de ces gens. On ne pouvait normalement pas saisir mes choses car je n’étais accusé d’aucun crime au Canada.

En décembre 2007, j’ai reçu la visite d’un huissier qui m’apprenait que tout ce que je possédais avait été saisi par Revenu Canada. J’avais pourtant écrit à Revenu Canada avant d’aller en prison pour les aviser que s’il y avait un problème de contacter mes avocats ou mon père qui avait une procuration. Je n’ai reçu aucun avis de cotisation me disant qu’il y avait un problème. Je n’avais donc plus accès à l’argent pour payer un fiscaliste pour m’aider.

En janvier 2008 la Cour d’appel a facilement annulé le nouvel arrêté. Ils ont aussi enlevé d’autres chefs qui étaient dans le premier arrêté. Il ne restait que cette accusation de complot de production de drogue.

Je pouvais maintenant présenter les fameux documents et aussi dire que je ne pouvais pas être coupable de complot sans co-conspirateurs.

J’ai demandé de faire un appel à la Cour Suprême. La Cour a accepté d’entendre mon appel et il fallait que j’envoie un mémoire avant lundi le 17 mars 2008.

Pendant ce temps j’écrivais aussi à Revenu Canada pour savoir pourquoi on avait saisi mes biens. On ne m’a jamais répondu.

Le vendredi 14 mars je n’avais toujours pas eu de nouvelles de mes avocats. Ils me promettaient depuis des semaines que je verrais le mémoire avant qu’il soit envoyé. Ces gens m’avaient tellement menti depuis le début que j’étais sûr que rien n’avait été fait. J’ai donc envoyé une télécopie directement au ministre de la Justice pour demander un délai afin de me trouver un nouvel avocat.

Samedi le 15 mars j’ai reçu une visite de mon « avocat » à la prison. Il m’a demandé 10 000$ immédiatement sinon il n’envoyait pas le mémoire. Je n’avais pas 10 000$ et je savais qu’il n’avait rien fait. Je lui ai dit non.

Lundi le 17 mars, j’ai reçu une télécopie du Service d’entraide internationale qui me disait que le ministre n’avait pas le pouvoir de changer les dates de remise pour la Cour Suprême. Il fallait que je m’adresse à la Cour Suprême directement. J’ai vu que le Service d’entraide avait envoyé cette télécopie au procureur fédéral et mon ancien avocat accompagnée de la lettre que je leur avais envoyée. J’étais maintenant sûr que tout le monde savait que je n’avais plus d’avocat.

J’ai donc appelé le registraire de la Cour Suprême. On m’a dit que j’avais tout mon temps pour me trouver un avocat. J’ai aussi envoyé une lettre pour être sûr.

J’ai trouvé un autre avocat qui était en train de rédiger le mémoire lorsque des « gendarmes » sont venus me chercher à la prison de Rivière-des-Prairies pour m’amener à l’aéroport. J’ai expliqué ce voyage dans extradition.

Aux États-Unis ça a pris du temps car le procureur était mal pris. Il ne pouvait pas changer le seul chef d’accusation qui restait. C’était un chef de complot de production de drogue et il n’avait aucun témoin qui en avait produit et les seuls témoins n’avaient même pas commandé des produits avec lesquels on pouvait produire de la drogue. J’ai avisé tout le monde que je ne plaiderais jamais coupable à ça. En plus on m’accusait dans ce chef d’avoir comploté depuis 1999 alors que ce chef n’est devenu illégal aux États-Unis qu’en 2000.

Mon avocat a fini par me convaincre de plaider coupable à une autre accusation qui est : « transaction d’argent qui vient de l’importation de substances contrôlées ». C’était une sentence de 10 ans mais on m’a assuré (même la dame du consulat) que je serais transféré au Canada rapidement et que je sortirais rapidement car je pourrais bénéficier du traitement expéditif et sortir au sixième. J’ai accepté.

Finalement cela a pris 3 ans pour que j’obtienne mon transfert et il n’y avait plus de sixième lorsque je suis arrivé au Canada.

Pendant que j’étais en prison aux États-Unis, j’écrivais souvent à Revenu Canada pour savoir ce qui se passait. J’ai même fait une demande officielle de renseignements. On m’a répondu qu’on ne pouvait me répondre car j’étais incarcéré à l’étranger.

À l’automne 2009, Revenu Canada a vendu tout ce que je possédais et officiellement confisqué mon argent.

J’ai écrit à la Cour Suprême pour demander pourquoi j’avais été extradé. On m’a répondu que le procureur fédéral les a avisés un jour que j’étais parti et qu’ensuite mon prétendu avocat leur a écrit pour dire que je me désistais de mon appel! L’avocat qui était venu me voir pour me dire que si je ne le payais pas, il ne ferait rien. Il avait décidé tout à coup que je me désistais.

J’ai écrit au procureur fédéral pour demander pourquoi j’avais été extradé. Il m’a répondu par écrit que quelqu’un prétendant être moi a laissé un message sur sa boîte vocale et demandé à être livré aux autorités américaines! Lorsque je demande au ministre de la justice, au service des poursuites pénales ou à la commission des plaintes du public contre la GRC pourquoi j’ai été arrêté, on me répond que c’est parce que les américains l’ont demandé. Pourtant la loi est claire : pour extrader quelqu’un il faut que ses actes, s’ils avaient été commis au Canada, aient constitué un crime au Canada. Il semble que le Canada est devenu le fournisseur des américains et lorsqu’il reçoit une commande, il livre le « bétail » demandé, la personne n’a pas besoin d’avoir commis un crime.

Depuis sept ans je fais des demandes de renseignements personnels à la GRC pour obtenir un document qui dit combien de boîtes ils ont trouvées avec une recette à l’intérieur ou une confirmation qu’il n’y en avait pas. J’ai reçu un appel à la prison pour me faire dire que jamais je n’obtiendrais ce que je demande par écrit car ça prouverait que la GRC a mal agi. J’ai fait une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada il y a plus d’un an (AJOUT: maintenant quatre) et je n’ai pas reçu de réponse.