Extradition
Comme Revenu Canada m’avait saisi mon argent et que mon avocat m’avait laissé tomber, j’ai demandé à la Cour Suprême de me donner un délai pour présenter le mémoire pour mon appel. On m’a dit au téléphone que j’avais tout mon temps pour me trouver un autre avocat. J’ai aussi envoyé une lettre pour être sûr. Comme je l’ai déjà écrit, j’étais sûr de gagner mon appel. Tous mes présumés co-conspirateurs avaient été acquittés et j’avais gagné plusieurs points en Cour d’appel, ce qui faisait que tous les chefs d’accusation rétroactifs avaient été enlevés (on m’accusait de choses qui ne sont devenues illégales que 40 mois après mon arrestation). En extradition les règles sont différentes mais il faut quand même avoir fait quelque chose d’illégal pour être extrader.
Tous les jours c’est moi qui préparait les déjeuners pour tout le monde dans le secteur à la prison de Rivières-des-Prairies. Je me levais donc très tôt et quelques fois je me recouchais sans avoir moi-même déjeuné. Ce matin-là, d’autres détenus sont venus me réveiller pour me dire que le gardien m’appelait. J’ai appris qu’il fallait que je me prépare vite car je partais pour les États-Unis!
J’ai donc mis tous mes documents légaux dans des sacs ainsi que quelques effets personnels. J’ai donné le reste à mon « coloc ». Je n’ai pas pu saluer quelques gars qui étaient à l’école. Je n’ai pas eu le temps d’appeler ma famille pour dire que je partais. On m’a fouillé à nu avant que je parte.
Des agents de la GRC m’ont amené à l’aéroport où m’attendaient des marshals américains. On m’a encore fouillé et les marshals m’ont dit que je ne pouvais rien amener avec moi. Les gendarmes (vraiment ce mot me fait penser à Louis de Funes et ça leur va tellement bien ) ont donc amené tous mes documents légaux à leur bureau ce qui est très irrégulier (en fait mon avocat américain m’a dit que si c’était arrivé en territoire américain, il aurait pu faire annuler les poursuites).
Après toutes les procédures (immigration, prise d’empreintes, autre fouille) nous sommes embarqué dans l’avion. Tout ce temps je portais des menottes et comme je suis monté à bord le dernier et que je devais m’asseoir dans la dernière rangée, j’ai dû passer devant tout le monde. Des gens me disent que ça doit être humiliant mais on oublie tout ça. Je me suis promené au centre-ville de Buffalo avec des menottes et des chaînes aux pieds et ça ne me dérangeait pas (j’étais trop content de voir la lumière du jour). Je suppose que c’est comme quand on est à l’hôpital et que le personnel peut voir nos fesses ou pire, on s’habitue, il y a tellement d’autres choses qui nous semblent plus importantes à ce moment.
Nous avons dû faire une escale à New York City. Je ne sais pas quel aéroport. Là encore je me promenais devant tout le monde avec des menottes. Un des marshals m’a acheté quelque chose à manger mais comme j’avais encore des menottes, c’était impossible à faire.
Nous avons repris l’avion et nous sommes arrivés à Buffalo en soirée. On m’a amené à la prison Erie County Jail. J’ai été chanceux car, parce que j’étais un « cas » fédéral, je n’ai attendu qu’environ deux heures dans une cellule commune où les gens puaient, urinaient sur le sol et hallucinaient. On m’a encore fouillé et pris mes empreintes digitales. On m’a mis un bracelet m’identifiant et on m’a amené à ma cellule. Il semble que j’étais arrivé trop tard pour avoir droit à un repas. Je n’ai donc pas mangé de la journée.
C’est identique à la photo ci-dessus en beaucoup moins propre. Il y a une rangée de cellules sur un côté et des petites tables où on peut s’asseoir pour manger ou jouer aux cartes. En face des cellules il y a un corridor ou le gardien passe pour regarder dans les cellules. Il n’y a AUCUNE inimité. Lorsqu’on va aux toilettes, le gardien (et les autres détenus) nous voit assis sur la toilette. Dans le passage du gardien il y a une télévision. Les gars peuvent l’écouter mais il faut se mettre vis-à-vis sinon on ne voit pas et il n’y a que deux places pour s’asseoir. Les gars changent de poste en poussant sur les boutons de la télé à l’aide d’un grand bâton qu’ils font en roulant des papiers. La douche est au bout et il n’y a pas de rideau.
Le lendemain matin on est venu me chercher pour m’amener à la Cour. J’avais eu le temps de manger un bol de céréales. J’ai été agréablement surpris de voir que ça ne prenait que cinq minutes pour s’y rendre. Là-bas on m’a encore fouillé et pris mes empreintes.
Dans la journée j’ai vu le juge qui m’a posé quelques questions et m’a tout de suite accordé le droit à l’aide juridique. C’est un droit aux États-Unis et non pas un privilège comme ça semble l’être ici. Il m’a présenté un avocat dans la salle et il m’a conseillé de le prendre car il aurait beaucoup d’expérience dans ce genre de cause. J’ai su plus tard que cet avocat n’avait jamais eu un procès à la Cour fédérale. J’ai discuté de ce juge dans un autre billet.
On ne m’a pas ramené à la prison de Buffalo mais à une autre à deux heures de route. Le voyage s’est fait dans un fourgon qui n’avait pas de fenêtres. J’ai déjà écrit un article sur ce fourgon.
Lorsque je suis arrivé à cette nouvelle prison (Allegany County Jail), devinez-quoi? On m’a fouillé, pris mes empreintes digitales et mis un nouveau bracelet. Le secteur où on m’a mis ressemblait à ça:
C’était très propre. Si on regarde attentivement, il y a une porte entre la cellule C11 et C12 (et d’autres). C’est pour donner accès à la plomberie. C’est comme ça dans toutes les prisons où je suis allé (sauf celle de Buffalo), même celles du Canada.
Encore là il était trop tard pour manger et je n’avais mangé qu’un bol de céréales pour déjeuner et un sandwich pour dîner.
Pendant ces deux jours j’étais comme un zombie, ce doit être un mécanisme de défense pour ne pas devenir fou. J’étais au Canada avec l’espoir de finir tout cette histoire de façon positive et tout à coup je me retrouve en enfer. C’est aussi très éprouvant physiquement.
On m’a mis en isolement pendant cinq jours. On me laissait sortir une fois par jour pour aller prendre ma douche. Il y avait quelque chose de génial qu’on n’avait pas à Rivière-des-Prairies: une petite étagère avec plein de livres alors j’ai lu beaucoup.
Dans les prisons américaines, on a le droit de faire un premier appel gratuitement. Malheureusement on n’a pas le droit de faire d’appel interurbain. Lorsque je suis sorti d’isolement j’ai essayé d’appeler ma famille mais ça ne fonctionnait pas. Après quelques semaines j’ai été capable de parler à mon père pour lui dire où j’étais mais je n’ai jamais pu, pendant mes quinze mois à cette prison, parler à mes enfants. Je n’ai pas appelé mon père souvent non plus, ça coûtait 6$ la première minute et 1$ la minute après.
J’oubliais! J’ai écrit au procureur fédéral canadien pour lui demander pourquoi j’avais été extradé. Il m’a répondu, par écrit, que quelqu’un disant être moi avait laissé un message sur sa boîte vocale pour demander à être livré aux autorités américaines! Il est impossible de laisser des messages dans des boîtes vocales à partir de Rivières-des-Prairies. On ne peut que faire des appels à frais virés. J’ai eu beau écrire à la GRC, au Service des poursuites pénales ou à des ministres, personne ne veut enquêter sur cet appel téléphonique. Ils savent probablement que ce n’est jamais arrivé.
Je ne sais pas comment vous avez fait pour tenir le coup. J’aurais savoir les différentes étapes lors de l’emprisonnement. Et surtout vos sentiments lorsque vous aviez perdu votre liberté pour la première fois.
Jeff