Le racisme en prison
J’ai déjà mentionné que je venais d’un monde parallèle où je n’avais pas été mis en contact avec des gens d’autres cultures, races ou nationalités.
Il est facile de dire « Je ne suis pas raciste » dans ces conditions.
Lorsque je suis arrivé à la prison de Rivière-des-prairies j’ai été mis face à une réalité que je ne connaissais pas. J’ai rencontré des gens de toutes les races, religions et milieux sociaux.
Au début ça me gênait de nommer. Si je parlais de quelqu’un et qu’on me demandait qui c’était, je répondais « c’est le gars là-bas avec le chandail bleu » alors qu’il aurait été plus simple de dire que c’était le « noir » car il n’y avait qu’une personne de race noire et qu’il y avait plusieurs gars portant un chandail bleu. Ça me gênait de réduire quelqu’un à sa couleur de peau. C’est bizarre car cela ne m’aurait pas gêné de dire que c’était le gars aux cheveux roux ou le gars chauve.
J’ai fini par m’y faire et je m’entendais bien avec tout le monde.
Lorsque je suis arrivé aux États-Unis c’était différent. Pour ces gens la couleur de peau est très importante. Il faut être prudent dans ce genre d’endroit car un commentaire déplacé peut facilement être interprété comme du racisme. Je me souviens que j’avais un « voisin de palier » qui était noir. On se parlait beaucoup au début mais j’ai fini par comprendre qu’il ne voulait que soutirer des informations. Il savait que j’avais déjà fait beaucoup d’argent et il croyait que je lui donnerais mes « trucs » comme s’il y avait une recette magique secrète.
Un jour je lui ai dit que j’avais vu arriver un nouveau dans le secteur juste avant un compte (on doit retourner en cellule pendant les comptes). Il m’a demandé de quelle race le nouveau était. Il semble que ce soit important de savoir c’est quoi le ratio entre les différentes races. Je lui ai dit que je ne me souvenais pas, que j’avais seulement vu quelqu’un de nouveau arriver et que je me foutais de la couleur qu’il était.
Ça le dépassait. Il ne comprenait pas que pour moi ça n’avait pas d’importance.
Plus tard quelqu’un a été « puni » 24 heures en cellule et lorsque j’ai demandé à mon voisin pourquoi il avait été puni, il m’a répondu parce qu’il avait « cussing » à un gardien. Il est devenu fâché quand je lui ai dit que je ne connaissais pas ce mot.
Selon lui je ne m’intéressais pas à la race noire pour la seule raison que je ne connaissais pas toutes les expressions des noirs urbains (je ne sais pas si cette expression existe en français). C’est moi qui suis raciste mais c’est lui qui réduit la race noire à des jeunes afro-américains alors que c’est en fait beaucoup plus riche que ça. J’ai fini par apprendre que ça veut dire sacrer, blasphémer.
C’est lorsque je suis arrivé à Moshannon Valley Correctionnal Center (MVCC) que le choc a été le plus grand. Au début nous étions quelques blancs dans un dortoir de 61 détenus. À la fin j’y étais le seul.
J’avais rencontré un africain à la prison précédente (North Eastern Ohio Correctional Center) et il s’est retrouvé dans le même dortoir que moi à MVCC. Au début on se tenait beaucoup ensemble. Je me suis fait appeler le « n-word lover » (ça me fait mal d’écrire ce mot, il est si lourd de signification) mais ça n’est jamais allé trop loin. Les autres blancs du dortoir disaient des choses qui me fâchaient comme lorsqu’on parlait de transfert. Quand un canadien qui n’avait pas la même couleur de peau qu’eux obtenait un transfert, il disait que ce n’était pas juste parce que le gars n’était pas un vrai canadien. Ben voyons! Ça m’insultait tellement. Surtout venant de gens qui vivaient aux États-Unis lorsqu’ils s’étaient fait arrêter. Alors qui est un vrai canadien? Celui qui a quitté son pays natal et choisi le Canada comme l’endroit où il veut vivre ou celui qui n’est que né au Canada et a choisi de vivre ailleurs?
Il y avait une cinquantaine de canadiens dans cette prison. Il y avait environ 500-600 dominicains. Lorsque j’y suis arrivé j’entendais les canadiens dirent des choses pas très gentilles à propos des dominicains. Ça semblait universel. Je n’aimais pas entendre ces commentaires mais, en même temps, c’est vrai qu’ils me tapaient sur les nerfs moi aussi. C’est que le dominicain moyen aime manifester sa joie de vivre de façon bruyante. Et nous, les canadiens/québécois, sommes des gens plus réservés. Quand je me suis retrouvé dans un dortoir où la moitié des gens chantaient, sifflaient, dansaient, criaient toute la journée, je trouvais ça très difficile.
Quand je regardais la télé et que les dominicains de la table à côté jouaient aux dominos de façon si énergique qu’ils cassaient les dominos en les frappant sur une table en acier, j’étais prêt à exploser.
Il a fallu que je réfléchisse beaucoup car j’en étais venu à éprouver de la haine envers ces gens (je parle des individus) qui faisaient tant de bruit. Et lorsqu’on se met à détester quelqu’un, tout ce qu’il fait nous rend fou. Je me suis mis à rechercher les choses que j’appréciais chez eux et essayer de ne pas être présent lorsqu’ils avaient les comportements que je trouvais difficiles. Avec le temps, j’en suis venu à les aimer et à pouvoir rire avec eux des choses qui me rendaient fou. Ce qui a aussi rendu tout ça plus facile est que je me suis retrouvé seul, sans les autres québécois. Je crois que les autres m’associaient à ces racistes. On est souvent coupable par association dans un tel milieu.
Je n’ai jamais eu de problème avec les noirs. Quand ils me voyaient ils me disaient « Hey Pelcheezy, my nizzy! » Je n’avais aucune idée de ce que ça voulait dire jusqu’à ce que quelqu’un m’explique que ça venait d’une chanson de Snoop Dogg et que c’était un compliment, qu’on me trouvait cool. Ça voulait dire : « Hey Pelchat, my n-word! » Il y a encore des gens qui m’ont connu là-bas qui m’écrivent en m’appelant Pelcheezy.
J’ai aussi souvent écrit que MVCC était une prison pour non-américains seulement alors la question raciale n’était pas si importante mais lorsque je me suis retrouvé dans une prison à sécurité medium lors de mon transfert c’était sérieux. Il y avait des sections pour les noirs, latinos, blanc, asiatiques… dans la cafétéria. Un latino qui était avec nous sur le transfert a dû dire de quel gang il faisait partie dès son arrivée. C’était un autre monde. Une chance que nous n’y sommes pas restés longtemps, j’y serais devenu fou.
Dans les prisons canadiennes il semble que cette question de race est moins présente et je l’ai surtout remarqué chez des détenus plus âgés. Le pire que j’ai entendu et ça me fait mal au cœur de l’écrire est : (désolé je ne suis pas capable de l’écrire).
Il faut comprendre qu’on a tous des coutumes différentes. Pour un québécois moyen en prison, lâcher un pet n’est pas grave mais pour d’autres gens, nous ne sommes que des animaux. On peut trouver que des gens mettent trop de parfum ou que leur cuisine pue mais je sais que beaucoup de gens n’aiment pas l’odeur de la cuisson de bacon, ça leur lève le cœur. Lorsqu’on prend conscience que certains de nos comportements peuvent être offensants pour d’autres, il est plus facile d’accepter les différences car, nous aussi, nous sommes différents.
Je crois sincèrement que nous avons tous des préjugés. Je suis sûr que n’importe qui qui me lit se sentirait mal à l’aise s’il venait de se faire arrêter et arrivait dans un secteur remplit de gens d’une autre couleur que la sienne. La première fois c’est intimidant et, même lorsqu’on est habitué, on préférerait arriver dans un endroit avec des gens nous ressemblant. Quoiqu’une fois sur place, je préférerais me tenir avec des africains éduqués plutôt qu’avec des suprématistes blancs imbéciles.
Dès ma sortie de prison je me suis inscrit sur un genre de réseau social qui s’appelle Quora. Les gens posent des questions et il y a des votes sur les meilleures réponses. Des gens très connus répondent à des questions les concernant (Ashton Kutcher par exemple). C’est habituellement très respectueux et très intelligent. Ce matin j’ai eu le privilège d’avoir été nommé par quelqu’un à propos de racisme. Ça m’a fait un bien énorme de voir que des gens puissent apprécier ce que j’écris même si sur ce réseau je ne participe pas beaucoup et que je parle (écris) anglais comme une vache espagnole.
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