Le vrai moi
Tout au long de ma vie j’ai eu cette triste impression d’être seul. C’est normal, je n’étais que la personne qui se conformait à l’idée qu’on se faisait de moi : le bon père de famille, gentil avec tout le monde, un bon pourvoyeur…
Alors quand les gens m’appréciaient, ce n’était pas moi, c’était quelqu’un d’autre, une image que je projetais. Comment se faire de vrais amis lorsqu’on n’est pas vrai avec les gens? Comment pouvais-je avoir une vraie connexion avec quelqu’un alors que je ne savais pas qui j’étais?
J’ai bien essayé à quelques reprises de m’exprimer mais ça dérangeait. J’ai choisi la facilité, j’ai fermé ma gueule.
Lorsque je me suis séparé et que mon ex expliquait aux gens que c’était parce que j’avais une maîtresse alors que je n’en avais pas et qu’en fait cela faisait trois ans qu’elle avait des amants, j’ai fermé ma gueule. Ça n’aurait rien changé de dire la vérité aux gens.
Lorsque j’ai été arrêté pour une activité que j’avais en fait arrêtée deux ans et demi plus tôt et que c’était mon ex et son amant qui l’avait reprise, j’ai fermé ma gueule. Ça n’aurait rien changé d’expliquer.
Mais tout ça use et le sentiment de solitude devient très profond.
Les gens me parlent souvent des conditions de la prison, comment ça peut être difficile. C’est vrai que c’était difficile mais ce qui me tuait chaque jour, c’était l’impression que je pourrais mourir et que personne ne s’en apercevrait. Et ce qui était encore plus triste c’est que je quitterais sans que les gens aient eu la chance de me connaître, savoir qui j’étais vraiment.
Quand on est en prison mais qu’on communique avec des gens de l’extérieur, qu’on reçoit des visites, des lettres, des photos, on a l’impression qu’il y a une partie de nous qui n’est pas en prison. On est dans le cœur des gens dehors. Quand ils ont des fêtes et qu’ils envoient des photos, on a l’impression qu’on y était un peu car ils ont probablement pensé à nous lorsqu’ils ont pris la photo. Quand on reçoit une lettre, on sait qu’on était dans la tête de la personne pendant ce moment. Pendant les minutes qu’a duré la rédaction de cette lettre, quelqu’un nous étreignait et réchauffait notre cœur. Pendant la lecture de cette lettre, on oublie la prison, on est dans un endroit plus beau.
Mais quand on ne reçoit aucune lettre et aucune réponse aux nôtres, c’est difficile. La solitude devient un grand poids. Il fallait que je me décide à abandonner, que j’étais maintenant seul.
Oui la prison était difficile mais les 15 mois passés à Allegany County Jail m’ont obligé à trouver qui j’étais. J’étais seul. Pas de lettres, pas de téléphone, pas de visites. Les nuits blanches m’ont accompagné, la folie m’a entouré de ses bras réconfortant. Il fallait que j’arrête de penser au passé, d’essayer de trouver des raisons. Il fallait que je me trouve. La vie c’était maintenant. La vie c’était moi.
Ce qui m’a aidé c’est mon optimisme. De savoir qu’il y avait un monde dehors qui ne m’avait pas encore connu mais qui m’accueillerait comme je suis. J’avais confiance que des belles choses m’attendaient.
Être seul était une belle opportunité pour moi en fin de compte. Personne n’avait d’attente, personne ne m’attendait. J’étais maintenant libre d’être qui je suis.
Depuis que je suis sorti, j’essaie d’être loyal envers moi-même. Ce n’est pas toujours facile mais les plus belles choses m’arrivent lorsque je fais confiance aux gens que je rencontre, lorsque je me refuse la tentation d’être moins que moi.
Il y a des gens qui font une différence dans ma vie sans qu’ils en fassent nécessairement partie. Ces gens ne savent pas qu’ils m’ont aidé à survivre l’enfer de la prison, le gouffre de la folie, la noirceur de la solitude. Je reçois un mot gentil d’une amie qui me dit que je suis « la bonne nouvelle dans son quotidien », une autre qui m’appelle son « âme sœur » sur facebook ou je reçois une infolettre de exeko où on peut voir les gens que j’y ai rencontrés et ça me fait du bien. Pendant des années, mes seuls beaux moments ont été lorsque qu’une lettre n’était pas une mauvaise nouvelle. Maintenant je reçois beaucoup d’amour.
Il n’y a pas assez de gens authentiques autour de nous. Quand on les trouve ils bouleversent notre vie. Il a fallu que je me décide à être moi pour les rencontrer, les découvrir, pour qu’ils me trouvent. Pour qu’enfin je comprenne ma vie, que toute cette attente en valait la peine.
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