Les délateurs et un examen du gouvernement
Il y a beaucoup de délateurs en prison. Dans les prisons « low security » comme où j’étais, il y en a partout et les gens n’en parlent pas. Dans un medium ou maximum, il faut montrer ses « papiers ». Les autres détenus veulent savoir si le nouveau est là pour un crime sexuel ou s’il est un délateur. C’est normalement écrit sur le rapport pré-sentenciel. Les autorités nous défendent donc d’avoir ces papiers en notre possession en prison mais les gars se débrouillent pour les avoir. Si on ne peut pas les montrer, il faut demander pour aller dans le trou car ça va aller mal.
Avant mon extradition, on m’a donné « l’opportunité » d’être délateur (les « gendarmes » appelaient ça être un témoin repentant). J’ai dit que je ne savais rien d’incriminant sur la personne en question. Il ne s’était qu’occupé de placer de l’argent pour une compagnie pour laquelle je travaillais. (Il ne l’avait pas très bien fait car tout a été saisi.) C’est sur cet argent qu’on me demande de payer de l’impôt. Comme je n’avais rien à dire sur lui, on m’a demandé de mentir. Pas dans ces mots. On m’a dit que si je disais ce qu’on me demandait, je ne ferais pas beaucoup de prison. Même mon avocat canadien me disait: « Je ne te demande pas de mentir, je te demande de dire ce qu’on te demande! » Il n’était pas question que je mente. Comme je refusais de mentir, on m’a offert autre chose. Il fallait que je réussisse à faire faire quelque chose d’illégal à cette personne. J’ai aussi refusé.
Cela m’a occasionné beaucoup de temps en prison (on a doublé ma sentence et retardé mon transfert de trois ans). La personne en question a fini par faire de la prison et peut-être le méritait-il, ce n’est pas à moi de décider. Par contre je sais que je n’ai pas menti. Lorsque le gars l’a appris (après une entrevue que j’ai donné à Enquête à Radio-Canada) il m’a écrit pour me remercier. Il a dit que je pourrais sortir de prison la tête haute, que j’étais un homme d’honneur etc. Il a aussi mis 40$ sur ma cantine. De la part d’un millionnaire, c’est généreux, surtout que tous les problèmes que je vis avec Revenu Canada sont de sa faute. Mais je n’ai pas de regrets, je l’ai fait pour moi, pas pour lui.
C’est quand même parfois difficile quand je l’entends dire en entrevue qu’il a « collaboré » avec les américains pour rendre l’argent sur lequel on me demande de payer de l’impôt. S’il avait fait son travail comme il avait promis de le faire, l’argent serait toujours là et je n’aurais surtout pas à payer de l’impôt dessus.
La prison est un environnement spécial, il y a des règles mais on ne peut survivre qu’en les enfreignant. Tout le monde est au courant, même les gardiens. C’est une façon de pouvoir nous contrôler. Ils savent qu’on a toujours quelque chose à se reprocher: un oreiller de plus, des pantalons avec des poches, de la nourriture qui vient de la cuisine, une tablette en carton dans notre casier. Alors si tu fais ch.. un gardien, il peut te rendre la vie difficile. Si un gardien veut t’envoyer dans le trou, il n’a qu’à fouiller tes boîtes, c’est sûr qu’il va trouver quelque chose que tu n’as pas acheté (ils vérifient par nos commandes de cantine). Ça veut donc dire que quelqu’un te l’a donné et c’est défendu. Tout le monde a quelque chose à se reprocher et personne ne parle.
Ça me rappelle un jour où un « case manager » était entrée dans notre secteur pour nous dire que lorsqu’on partait, on ne pouvait pas donner nos choses aux autres. Elle était sérieuse. Tout le monde s’était mis à rire. « C’est ça, c’est mon dernier jour de prison et tu vas m’obliger à jeter mes choses aux poubelles? Bonne chance! »
Au Centre fédéral de formation, j’ai reçu des CD pour pouvoir consulter des documents rédigés par la GRC. Comme la bibliothèque était fermée, j’ai demandé comment que je pourrais les consulter. Plusieurs gardiens et employés m’ont dit de le faire à l’école (j’étudiais en informatique). Un jour mon agente de libération conditionnelle (ALC) l’a appris. Elle ne m’aimait vraiment pas (surtout que je venais de lui donner un paquet de documents rédigés par la GRC qui disaient que je n’avais enfreint aucune loi) et je me suis retrouvé dans la merde. J’ai même dû la rencontrer avec un « keeper » (un des plus hauts patrons de la prison) où j’ai reçu des menaces. Tout ce temps-là il fallait que je dise que je n’avais demandé la permission à personne etc. Si j’avais dit qui m’avait dit de faire ça, j’aurais eu des problèmes avec eux par la suite.
C’est comme ça la prison, il faut que tu fermes ta gueule et tu endures. Ça devient un mode de vie. C’est souvent injuste mais tu ne réponds pas, même quand on t’insulte.
J’ai raconté tout ça pour que vous compreniez ce qui m’est arrivé l’automne dernier. Je suis allé passer un examen pour faire partie d’une banque de candidatures pour travailler au gouvernement. C’était un examen pour les gens qui prévoient finir leurs études cette année. J’ai passé ce genre d’examen à quelques reprises pour des postes de 5 ans d’expérience et plus et j’ai terminé au premier niveau. Ça ne m’inquiétait donc pas. Il y a d’habitude quelques questions de raisonnement mais ce sont surtout des questions par rapport au comportement dans des environnements gouvernementaux. Comment on réagirait face à telle ou telle autre situation.
Je croyais m’en être bien sorti. À toutes les questions où on avait le choix d’aller parler à notre patron pour régler un problème, je choisissais une autre option. Je l’ai déjà dit, ça devient un réflexe, on règle ses problèmes soi-même et on ne va pas voir les autorités.
Je viens d’avoir les résultats de l’examen. Je crois que je n’ai pas compris ce qu’on voulait de moi car je n’ai eu que 181 sur 300 et la note de passage était de 177 . Je ne serai certainement pas dans le premier niveau cette fois. Et comme je ne souffre pas d’un handicap, que je ne suis pas amérindien, que je ne fais pas partie d’une minorité visible et que je ne suis pas une femme, les chances qu’on m’offre un emploi rapidement sont faibles.