L’urgence de la vie après la prison
Il semble que lorsque la vie nous a oubliés pendant un moment elle décide de rattraper le temps perdu et nous lance tout à la figure en même temps.
Il y a un peu plus de deux semaines mon père a organisé une fête pour les 50 ans de mon petit frère (mon petit frère a 50 ans, ça fait vraiment bizarre). Comme mon père vient d’être opéré il ne pouvait pas vraiment venir à Montréal où habite mon frère et il était donc prévu qu’on irait chez lui à Québec. J’en ai profité pour prendre rendez-vous avec deux de mes enfants (deux de mes enfants habitent près de Québec, un autre à Toronto) pour le vendredi soir. Je fais un peu d’argent maintenant et je pouvais enfin me permettre de les inviter quelque part.
Quelques jours avant mon départ, mon père m’a appelé pour m’aviser qu’une de mes tantes était à l’hôpital et que ce serait probablement notre dernière chance pour la voir avant que le cancer ne l’emporte. On devait donc en profiter pour aller la visiter samedi en après-midi avant le souper pour mon frère.
Je suis arrivé le vendredi après-midi et je me suis aperçu que mon père n’était pas en forme. Son opération avait été plus difficile que prévu. Il avait perdu l’appétit. C’était triste de le voir ainsi. Il a toujours été en forme et là je prenais conscience qu’il n’est pas invincible.
Il a une copine qui est bien en forme et qui s’occupe beaucoup de lui. Toute la famille l’aime beaucoup.
J’ai donc vu mes enfants le vendredi soir. J’étais si heureux de les voir. Ça a été une belle soirée. C’est toujours compliqué car ils sont sur la rive sud de Québec et qu’aucun de nous n’a une voiture. Il faut donc planifier les choses et on ne peut rien faire à l’improviste.
Mon frère est arrivé samedi midi et nous sommes allés voir ma tante avec mon père. La dernière fois où mon frère et moi sommes allés à cet hôpital est lorsque notre mère est morte du cancer elle aussi. Nous étions donc très anxieux de voir dans quel état on la trouverait.
Nous sommes arrivés à sa porte et elle était là, debout dans sa chambre. Son visage s’est tourné vers nous et s’est soudainement éclairé lorsqu’elle nous a vus. J’en ai encore le cœur qui chavire.
Mon frère, ma sœur et moi avons une relation plus proche avec cette tante car elle habitait près de nous pendant quelques années et était même professeure à la même école primaire où nous allions.
C’est peut-être dû à ce que j’ai vécu mais j’essaie vraiment de profiter de ces moments spéciaux, d’être à l’écoute et vivre l’instant.
S’il y a des membres de ma famille qui lisent ce texte, ils se reconnaîtront lorsque je dirai que dans cette famille, les gens ne sont pas bizarres ou étranges, ils sont excentriques . Ils font les choses à leur façon.
Ma tante a discuté avec nous et nous a expliqué sa vie, sa mort et comment elle était heureuse de la vie qu’elle avait eue.
Ça faisait longtemps qu’elle avait été opérée pour un cancer mais avait décidé de ne pas avoir de chimio. Elle a passé les quatre années suivantes à en profiter. Elle semblait si paisible et prête.
De retour à Montréal, je songeais beaucoup à tout ça. Mon père qui n’est pas en forme mais qui peut compter sur quelqu’un qui l’aime. Ma tante dont la vie se termine alors qu’elle n’est pas beaucoup plus vielle que moi et qui se dit comblée.
Tout ça me ramène à ce que je m’étais promis. Il ne faut pas que je me laisse étourdir par cette vie outre-clôture. Il faut que je me concentre sur ce qui est important maintenant.
Bien entendu j’ai trop de travail mais surtout du travail où je perds mon temps, où on me demande des choses pas claires et où on change d’idée une heure avant la conférence de presse pour annoncer le site. 10 jours plus tard on me demande de changer des choses pour la troisième fois alors que la date pour le faire était le 3 novembre (il y a 5 semaines).
La fin de semaine suivant ma visite à Québec, j’ai eu ma première sortie. Encore plein de choses pour me faire songer, me demander où j’en étais.
Ma tante est décédée il y a une dizaine de jours. J’ai donc planifié un voyage à Québec à nouveau.
J’ai déjà dit que les gens de ma famille font les choses à leur façon. Chacun est différent mais on ne se surprend pas de la façon de faire des autres. C’est ce qui fait notre charme .
Ma tante n’a pas eu un service traditionnel mais plutôt une cérémonie privée assez intime. Il y avait quand même une centaine de personnes car ma tante et son mari ont beaucoup d’amis et notre famille est nombreuse (nous sommes 28 cousins/cousines).
C’était une belle cérémonie fidèle à ce que ma tante avait demandé. Elle voulait qu’on célèbre la vie. Il y avait des moments très touchants et lorsque les filles de ma tante ont lu un poème, je n’ai pu retenir une larme. Mon frère qui me taquine toujours parce que je pleure facilement pleurait à chaudes larmes et il n’a pas arrêté jusqu’à la fin. « L’œil me pique », ben oui!
Je voyais tous ces amis de mon oncle et ma tante venir dire quelques mots et je me disais que c’est vraiment ce qui importe le plus, s’entourer de gens sur qui on peut compter, des amis qui sont là pour nous peu importe les écueils.
Après la cérémonie, ma famille a été fidèle à elle-même. On voyait vraiment la différence dans la salle. Nous en occupions une partie et tout le monde riait. Ce n’est pas par manque de respect, nous sommes comme ça. La mort nous rappelle que nous sommes vivants et que c’est court. Tout le monde était content de se voir. Je n’avais pas vu ces gens depuis plus de 10 ans. Ils m’avaient manqué. Je les aime vraiment beaucoup. Je n’étais pas gêné et personne ne m’a parlé de mes aventures. Ils voulaient savoir comment j’allais, maintenant.
On se dit tous qu’on a hâte de se revoir en espérant que ce ne soit pas à l’occasion des funérailles d’un d’entre nous.
Depuis mon retour de Québec, il y a quelque chose qui m’habite. Tous ces cousins/cousines que j’ai rencontrés ont continué leur vie pendant toutes mes années de solitude. Quelques-uns sont grands-parents ou à la retraite ou près de la prendre. Les filles de ma tante qui pour moi étaient des enfants ont presque 40 ans. Je dis souvent que la vie a continué sans moi mais je m’aperçois de plus en plus que c’est presque une génération qui me manque.
J’avais 40 ans lorsqu’on a interrompu ma vie. Mes enfants étaient grands, ma femme m’avait quitté, je pouvais commencer à me gâter et profiter des fruits de mon dur travail. Je regarde les gens qui ont mon âge et ils sont à un endroit où je ne suis pas, où je ne me sens pas. Je voudrais continuer ma vie au point où elle était. Par contre je me regarde dans le miroir et je vois que je n’y suis plus, je vois une personne que je ne reconnais pas. Tout ça me dérange.
On dirait que tout me rappelle la brièveté, ma finalité, qu’il y a urgence. Il faut que j’agisse mais que je ne me trompe pas.
Il y a aussi eu d’autres mauvaises nouvelles dont je ne peux pas parler ici mais qui ne facilitent pas les choses.
En plus il a fallu qu’on me change d’agent de libération conditionnelle. J’avais eu un peu de difficulté avec la première mais j’avais changé il n’y a pas longtemps. J’aimais bien la nouvelle. Elle n’était pas compliquée et tant que je respectais mes conditions, je n’avais pas de problèmes. Elle a changé d’emploi et le nouveau semble vouloir me convaincre de toutes sortes de choses. Je me croirais de retour en prison avec toutes ces questions. Je ne sais pas pourquoi certaines de ces personnes essaient de justifier mon incarcération et tout ce qui m’arrive. Si j’ai des problèmes avec Revenu Canada c’est sûrement parce que j’ai de l’argent caché etc. On me dit que j’ai profité d’une faille dans la loi mais en même temps on me dit que, des failles, il n’y en a pas dans le système.
Même si je n’ai rien fait d’illégal (et ça, tout le monde est d’accord), je devrais me sentir coupable d’avoir fait quelque chose de « mal ». Ces gens refusent de me répondre quand je demande qui a fait de la prison ou s’est senti coupable de m’enlever 19 mois de liberté en passant illégalement une loi rétroactive qui me privait du traitement expéditif de mon dossier (la rétroactivité de la loi a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour d’appel, trop tard pour moi).
Il faut que je lâche prise et que j’arrête de me demander si ces gens subissent l’ablation du bon sens lorsqu’ils commencent à travailler. Si je continue à essayer de comprendre ce qu’ils racontent, je vais finir par casser mon cerveau.
Quelqu’un avait déjà été fâché de ce que j’avais écrit ici. Je m’étais fait dire qu’on ne pouvait pas m’empêcher de dire ce que je voulais mais qu’il faudrait que j’en subisse les conséquences. Moi je me dis que si je trouvais que mes dires étaient logiques et sensés, je ne verrais pas d’objections à ce que quelqu’un les rapporte.
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