Les Claude
Aux États-Unis il y avait deux Claude à notre prison. Pas les plus intelligentes personnes au monde.
Il y avait le Claude de mon secteur qui écoutait BEAUCOUP la télé. Il ne faisait pas que l’écouter, il fallait qu’il la contrôle. Mais le plus drôle c’était les réflexions qu’il avait en écoutant des films. Les autorités louaient des films et les mettaient en boucle à partir du vendredi soir.
À ma première semaine là j’étais assis avec lui et il écoutait un genre de film familial. Il y avait un jeune garçon qui vivait dans un château et un autre qui vivait dans un quartier défavorisé. Facile à deviner: les deux garçons étaient identiques. Quand j’ai vu ça je me suis levé pour aller lire à mon lit, je savais déjà toute l’histoire. Une demi-heure plus tard, voilà que mon Claude se met à crier: « Hey! Hey! They switch! » Oh non, avec quel imbécile je me retrouve encore? En tout cas, c’était maintenant clair, je savais à qui j’avais affaire.
Plus tard on écoutait encore un film et il commence à se plaindre que les gardiens avaient loué un vieux film des années 70.
– Moi : Ben non Claude c’est un nouveau film qui vient de sortir, il y a un article sur ce film dans le Rolling Stone.
– Claude : Non c’est un vieux film.
– Moi : Regarde cet acteur-là. Tu le connais, il n’était pas né dans les années 70.
– Claude : Regarde leurs chars, c’est des chars des années 70.
– Moi : Ben oui, ils ont pris des voitures des années 70 pour tourner le film.
– Claude : Oui mais regarde comme il faut, ils sont neufs!
Peu de temps avant son départ il écoutait encore un film et il se plaignait encore qu’il était vieux. Je n’écoutais pas le film mais j’étais assis à côté de lui et je bricolais en écoutant de la musique.
– Moi : Pourquoi tu dis ça?
– Claude : Le gars vient de dire que le jour que ça arrivera, on aura un président noir pour dire que ça n’arrivera jamais.
– Moi : Et il est impossible que quelqu’un aujourd’hui ait pu écrire des mots que quelqu’un aurait pu dire il y a longtemps?
– Claude : Ben voyons Daniel! Quelqu’un aurait été incapable d’écrire ça aujourd’hui parce que le président est noir!
Bien entendu c’était moi l’idiot de croire que quelqu’un pouvait écrire ces mots-là. Je ne m’obstinais jamais longtemps avec lui.
L’autre Claude était moins idiot mais il disait quand même de superbes conneries. J’ai quand même vite appris à ne pas lui expliquer pourquoi il avait tort. Ça le mettait hors de lui car il s’apercevait bien que ce qu’il venait de dire n’avait pas de sens ou à tout le moins que moi je trouvais ça con. Il n’avait pas été à l’école longtemps mais il aimait épater les gens avec des connaissances qui sortaient de l’imaginaire collectif. Il s’imaginait quelque chose et tout à coup c’était parole d’évangile.
Par exemple j’ai déjà expliqué que les œufs arrivaient congelés à la cuisine dans des sacs de plastique. Claude avait travaillé un peu à la cuisine pour laver la vaisselle. Il m’obstinait que ces sacs jaunes était du pudding. Il ne les avait jamais vus de près alors que c’était moi qui les déballais et les faisait dégeler mais c’était lui qui avait raison. Je me dis que si tu n’es pas capable de te faire expliquer des choses, tu mérites de mourir con.
Une des plus drôles qu’il a dite est lorsqu’on marchait dans la cour. Il a commencé à m’expliquer que les aurores boréales qu’on voit l’hiver sont le résultat du soleil qui frappe la glace du pôle nord. Il me semble qu’on apprend au primaire qu’il n’y a pas de soleil au pôle nord l’hiver mais ça devait lui échapper. À la fin je le prenais plutôt en pitié. Je le laissais parler.
Il est bien difficile en prison de trouver des gens qu’on fréquenterait dehors. On doit faire des concessions. C’est intéressant car ça nous fait découvrir d’autres milieux mais c’est souvent limité comme conversation. Ça devient fatiguant. À la fin je me contentais de ma seule présence.
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