La nourriture de prison
Quelqu’un m’a parlé de Nutraloaf dernièrement et m’a demandé si j’y avais goûté pendant que j’étais aux États-Unis. Le Nutraloaf est servi dans quelques prisons d’état et de comté. Je pense sincèrement que j’en aurais mangé si j’avais eu vraiment faim. Le problème est la répétition. Manger est à peu près le seul plaisir qui reste en prison et manger quelque chose sans saveur jour après jour ne peut que rendre dépressif.
Je n’ai jamais mangé de Nutraloaf. Dans le county jail où j’ai été pendant 15 mois, la nourriture n’était pas si mal. Il y avait beaucoup de trucs maison : pain, biscuits etc. Il y avait aussi de la nourriture qui arrivait dans des sacs de plastique qu’ils faisaient réchauffer. Ça faisait un genre de sauce épaisse qu’ils nous servaient sur une tranche de pain blanc. Les gens appelaient ça « shit on a shingle » (merde sur un bardeau). Et on disait que la viande dans cette sauce était du « road kill » (les animaux morts trouvés sur la route). On s’habitue à tout.
Moi qui mangeait beaucoup de beurre d’arachides parce que ce n’était pas cher et nourrissant j’ai été déçu lorsqu’on a arrêté d’en avoir pendant des mois à la prison de comté suite au scandale de la salmonelle dans le beurre d’arachides.
J’ai entendu parler de prisons de comté où des gars ont mangé des sandwich au saucisson de Bologne (et pas de la qualité) à tous les jours pendant six mois. Moi je l’ai vécu pendant une semaine lorsque la prison a été en « lockdown ». Deux œufs durs le matin et des sandwiches pour le dîner et le souper.
Au pénitencier fédéral la nourriture était faite sur place mais avec des ingrédients de basse qualité. J’ai travaillé comme « stock boy » dans la cuisine. On servait 200 livres de riz et 100 livres de fèves (bines) par jour. Il y avait un comptoir où on pouvait se servir du riz et des bines à volonté alors on ne pouvait pas se plaindre de la quantité de nourriture qu’on recevait (des fois un grilled cheese et une soupe aux tomates dégueu). Les gens qui étaient végétariens n’avaient qu’à manger des fèves et du riz. Je me souviens qu’avant de faire tremper les fèves pour la nuit, on vidait les sacs sur une table pour enlever les cailloux et insectes (pas le top comme qualité).
Les œufs brouillés du matin arrivaient congelés dans des sacs de plastique. On faisait dégeler les sacs et ensuite on les faisait bouillir. On n’a jamais su ce qu’il y avait vraiment là-dedans.
Les boîtes de conserve étaient quelques fois périmées depuis plus d’un an.
On ne pouvait pas avoir de gros morceaux de viande car on n’avait rien pour la couper. On n’avait qu’une cuillère-fourchette (une cuillère avec quelques dents au bout. Spork, spoon-fork) en plastique. La plupart du temps la viande était de la dinde hachée. Elle arrivait congelée dans des boîtes énormes. La viande avait une teinte grise pas appétissante. Ça finissait par être pas si mauvais avec des épices, de la salsa, jalapeños, riz, maïs et fèves dans un tortilla. Probablement meilleur que du Taco Bell 🙂 .
Pour donner de la saveur à notre nourriture on avait le droit d’amener de la sauce soya, de la « hot » sauce (piquante) ou du beurre d’arachides et rien d’autre. Les gens s’amenaient toutes sortes d’autres choses (maquereau, thon, etc.) et se faisaient leur propre repas avec le riz et les fèves. Il fallait juste ne pas se faire prendre et la plupart des agents correctionnels étaient « lousses » là-dessus.
Les gens qui avaient de l’argent se faisaient à manger dans le dortoir avec des trucs de la cantine. Pour se faire à manger on avait deux fours micro-ondes pour 61 gars. La bouffe à la cantine n’était pas fameuse non plus. Un jour je me suis acheté deux pots de beurre d’arachides et lorsque je suis arrivé à mon lit, je me suis aperçu qu’ils étaient liquides. Je suis retourné à la cantine pour qu’on me les change ou qu’on me donne un crédit (il n’y avait rien en stock là-bas, il fallait faire notre commande une semaine à l’avance). On m’a demandé mon reçu! Je l’avais jeté mon reçu. J’étais fâché. J’ai demandé s’ils croyaient que je les avais achetés ailleurs : « Non, mais c’est comme ça. » Ça ne vaut pas la peine de s’énerver pour ces cons. Je suis revenu dans mon secteur et j’ai demandé à un autre gars (Tran, un vietnamien cool qui dormait près de moi) qui venait de s’acheter du beurre d’arachides d’y retourner avec mes pots et son reçu pour obtenir un remboursement (il était trop content de les faire chier). Les gens là-bas n’étaient pas contents car ils savaient que c’était mon beurre d’arachides mais ils étaient pris dans leurs menteries et ont remboursé Tran. Il m’a acheté du beurre d’arachide la semaine suivante.
Il y a eu tant de problème avec le beurre d’arachide qu’ils ont arrêté d’en vendre à la cantine pendant quelques semaines. Les gens étaient en manque, c’était fou. Moi j’ai réussi à en avoir par le gars qui m’avait remplacé dans le stock room (en prison, c’est comme ça, il faut avoir des contacts) car il y en avait toujours dans la cuisine. Il en mettait dans un sac de plastique et roulait son tablier autour. Les gardiens fouillent par tâtonnements (pat search) tout le monde qui travaille à la cuisine mais comme ce gars-là avait l’air plus catholique que le pape, ils ne le fouillaient pas trop.
Pour avoir du bœuf les gars s’achetaient un genre de ragoût et ils rinçaient le tout pour ne garder que la viande. Ça revenait pas mal cher. Ce n’était pas aussi luxueux qu’au Canada comme nourriture. Je ne veux pas dire que c’est le grand luxe au Canada mais ce n’est pas comparable. Au Canada, on avait des frigos, un vrai four, un grille-pain, des vrais ustensiles dont des vrais couteaux bien affûtés et un micro-onde pour 20 gars. On pouvait aller à la cantine quand on voulait.
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