L’anxiété de la liberté
Lorsqu’on sort de prison, on n’est pas encore « libre ». Il y a encore les conditions de la liberté conditionnelle. Ces conditions ne sont pas toujours claires et ça peut ajouter un stress constant. Par exemple mes conditions disent que je dois être à la recherche d’un emploi ou à l’école. Je n’ai pas de cours offerts dans mon programme à l’été. Je ne pourrai donc pas être à l’école. J’avais demandé pour rester en maison de transition mais on a décidé que je n’étais pas un risque pour la société. Je ne peux pas demander d’aide sociale car je suis « étudiant ». Je ne peux pas dire que je lâche l’école car je n’ai pas d’emploi. Je n’ai donc pas d’argent pour vivre cet été.
J’ai réussi jusqu’à maintenant à avoir des petits contrats Web et gagner un peu d’argent mais ce n’est pas assez et même si c’était assez, est-ce qu’on pourrait me dire qu’il faut que je me trouve un emploi à temps plein quand même? Les réponses ne sont pas toujours claires. On m’a dit qu’un stage non-rémunéré serait OK mais seulement pour l’été. Mais je paie mon appartement et ma nourriture avec quoi?
Mais lorsque je suis sorti je vivais un autre genre se stress. Je me demandais toujours si ce que je faisais était correct. Je me suis retrouvé en prison des années même si la GRC m’avait avisé, avant que je démarre mon entreprise, que tout était légal, alors j’ai tendance à me demander ce qu’on va encore inventer pour me remettre en prison.
Quand on est en prison, on peut se faire fouiller n’importe quand et on est toujours sous surveillance. Les premiers mois de « liberté », quand j’entrais dans un magasin, je gardais les mains dans mes poches pour ne pas qu’on pense que j’ai pris quelque chose. Quand je sortais en n’achetant rien, j’avais toujours peur qu’on me demande de fouiller mes affaires. Le pire c’était la bibliothèque avec les détecteurs magnétiques. À chaque fois c’était une angoisse incroyable de passer. Je me disais que ça allait sonner, qu’on allait fouiller mon sac.
Quand je vais à l’école je choisis toujours la place la plus près de la porte. Il faut que je sois prêt à sortir rapidement s’il se passe quelque chose. En prison s’il se passe quelque chose, même si tu n’es pas impliqué, on peut te mettre dans le trou (les américains sont forts là-dessus). S’il y avait une bagarre dans le gymnase entre les cubains et les jamaïcains par exemple, tout le monde restait enfermé jusqu’à ce que la bagarre soit terminée et qu’ils aient pris un « inventaire » de tout le monde qui était présent. Je sais qu’il ne se passera rien dans la classe mais c’est comme quelqu’un qui a le vertige, il sait qu’il ne sautera pas mais il a quand même peur des hauteurs.
Un soir on était assis à notre table, Claude, Kevin et moi. Kevin m’a dit d’aller mettre mes bottes. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu de regarder autour de moi : tout le monde avait ses bottes. Il m’a dit qu’une bagarre se préparait et qu’il ne fallait pas que j’aie mes sandales quand ça arriverait. Un gars avait pris la chaise d’un mexicain. Tous les mexicains avaient mis leurs bottes et étaient allés chercher d’autres gars dans le secteur à côté. Le gars qui avait pris la chaise était juste à côté de nous. La tension montait et les mexicains tournaient autour de nous et, après un temps trop long à mon goût, le gars a fini par rendre la chaise.
Je sens que les choses se replacent, à part la pression de mes conditions et mon manque d’emploi, mais il y a des choses qui me ramènent à la prison et ce sentiment d’oppression dans les moments les plus innocents. Je peux être n’importe où, à l’école, dans le métro, ou dans la rue avec la joie de vivre dans mon cœur et je vois un agent de sécurité ou un policier passer à côté de moi avec des gants.
Pas bon, les gants.
Si tu vois un agent avec des gants en prison, quelque chose va arriver. Quand un agent veut te fouiller, il met des gants; pour amener un gars dans le trou, ils mettent des gants; il y a une émeute, ils mettent des gants. Alors si on voyait des agents entrer dans le secteur avec des gants, tout le monde arrêtait de parler et on regardait ce qui se passait. Pour savoir pour qui était la mauvaise nouvelle.
Les gants c’est ton premier contact avec l’arrestation et l’arrivée à chacune des prisons par lesquelles tu passes. C’est chacun des contacts que tu as avec un gardien.
Non les gants ramèneront toujours des émotions négatives même si ceux que je vois ne sont peut-être que parce qu’il fait froid. Quelques fois des gants ne sont que des gants.
À moins que ce soit ton médecin qui mette des gants, alors je crois que le prochain moment ne sera pas plaisant
Photo courtoisie jslattum deviantART
J’ai bien aimé ton humour à la fin de ton texte, ça m’a fait rire et c’est très important à conserver!