Sortie de prison
Quelqu’un m’a demandé dernièrement de raconter mes premiers jours de liberté.
Le 3 juin 2013, mon père et sa copine sont venus me chercher au Centre Fédéral de Formation vers 9h30 le matin. Quelques gars m’avaient fait leurs adieux mais c’était assez informel. Les gars doivent aller travailler tous les matins alors j’ai attendu l’heure de mon départ seul. Les départs sont toujours comme ça. Tout le monde est mal à l’aise car on sait qu’on ne se reverra jamais. C’est triste car j’ai rencontré des personnes que j’aimais beaucoup et on sait qu’il n’y a personne dehors qui pourra comprendre ce qu’on a vécu.
Nous nous sommes rendus directement à la maison de transition. Il ne faut pas perdre de temps car on ne nous donne qu’une heure et demie pour s’y rendre si mes souvenirs sont exacts. Je regardais partout, j’étais tout excité. Aux États-Unis il y avait des clôtures (à part à la prison de comté où on ne voit pas dehors) mais rien à voir et au Canada il y avait un mur. C’était la première fois que je voyais des endroits que je connaissais depuis des années. Arrivés à la maison de transition j’ai amené mes choses à ma chambre. Dans la plupart des maisons les gars sont dans des chambres doubles mais j’ai été chanceux car j’y étais seul.
On m’a dit que je pouvais sortir pour aller manger avec mon père et je devais revenir vers 13h00 pour rencontrer mon agent de libération conditionnelle. Nous avons trouvé un restaurant et pendant que la copine de mon père et moi attendions que mon père stationne la voiture, je regardais les gens qui marchaient dans la rue. Je dois dire que les montréalaises sont incroyablement belles comparées aux américaines. Même les américains me parlaient des québécoises. Je devais avoir l’air de bonne humeur car une couple d’entre elles m’ont fait un beau sourire . Si les gens connaissaient le pouvoir d’un sourire, peut-être en useraient-ils plus?
Après le repas j’ai rencontré mon agent. Il m’a dit que je pouvais quitter et revenir avant 23h00, l’heure du couvre-feu. J’étais surpris car j’avais entendu dire que, normalement, on doit rester à la maison le premier jour. J’ai appris que chaque maison a ses règlements et que celle où j’étais donnait un peu plus de « corde » aux gars. Il y a des gens qui ont besoin de plus d’encadrement et qui ne serait pas bien à cet endroit. À chaque maison son type de clientèle je suppose.
Je suis donc allé prendre une marche. J’ai trouvé une bibliothèque municipale pas loin et j’ai pris une carte. J’avais une confirmation de résidence de la maison de transition. Les gens de la bibliothèque savaient que c’était une maison de transition et m’ont expliqué que, parce que c’était une adresse « temporaire », il fallait que je renouvelle ma carte à tous les trois mois. Malgré ça les gens ont été très gentils avec moi. Je suis ensuite allé à la station de métro où j’ai pris une carte OPUS. Encore là la personne m’a tout expliqué comment ça fonctionnait. Elle était très gentille.
Je suis allé prendre une marche pour connaître un peu « mon » quartier. C’était beaucoup d’émotions en même temps. Je repensais à ces gens qui venaient d’être gentils avec moi et je suis venu les yeux plein d’eau.
Je suis comme ça, quand ça va mal je ne pleure pas, je garde tout à l’intérieur mais lorsque quelque chose me touche, je ne peux plus me retenir. C’est souvent gênant.
La première semaine a été pas mal comme ça. Je marchais beaucoup, je trouvais tout le monde beau et gentil. Montréal avait bien changé depuis que j’y étais venu.
Je suis allé voir un spectacle à l’extérieur de la Place des Arts. C’était beau de voir les enfants qui jouaient. Je n’avais pas vu d’enfants depuis longtemps et lorsque tu es dans une prison pleine de pédophiles, tu n’en parles pas car les gens pourraient penser des choses. C’était beau de les voir jouer avec insouciance.
Je me suis assis dans une estrade de Bell Canada et une jeune fille qui travaille pour Bell est venue me parler et m’offrir un coussin. Elle m’a dit que j’avais l’air sympathique. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait me vendre. Elle m’a répondu qu’elle n’avait rien à me vendre qu’elle trouvait seulement que j’avais l’air gentil. AH! Si seulement elle avait eu 20 ans de plus ou moi 20 de moins .
Près de moi sur le gazon il y avait un couple que je supposais itinérants. On voyait qu’ils n’avaient pas été gâtés par la vie mais ils avaient l’air heureux ensemble. Ils s’embrassaient beaucoup. Un autre jeune couple est arrivé. Ils devaient avoir 18-19 ans. Ils avaient une pizza dans une boîte. Ils en ont pris chacun une tranche et ont offert le reste (plus de la moitié) à l’autre couple à côté d’eux. Encore là je me suis mis à pleurer.
Il y avait tellement de choses qui avaient changé. Un jour j’expliquais à un gars à la maison de transition que je ne comprenais pas pourquoi il y avait toutes ces cartes près des caisses dans les magasins avec des valeurs de 10, 20 ou 50$. Je lui demandais si tout le monde était devenu honnête depuis mon incarcération. Dans « mon temps » les gens auraient volé ces cartes. Il a trouvé ça très drôle. Il m’a expliqué qu’il fallait « valider » les cartes pour qu’elles aient une valeur. C’est plein de petites choses comme ça qui font qu’au début j’étais très prudent quand j’étais avec des gens qui ne savaient pas que j’avais fait de la prison. J’aurais facilement pu dire une niaiserie. Une chance que je lisais beaucoup sur les tendances et les technologies lorsque j’étais en prison.
J’ai vu une citation dernièrement qui vient d’un livre qui s’appelle « La prison… et après? » de Serge Portelli et Marine Chanel. Ça explique bien ce que la prison nous fait :
L’emprisonnement tel qu’il est vécu par les détenus semble un désapprentissage progressif des relations humaines ordinaires, alors qu’il devrait aboutir à forger un individu mieux armé pour affronter les difficultés de la vie. Comme s’il fallait, une fois libéré, commencer par réparer ce que la prison a cassé avant de tenter de reconstruire une vie.
En prison il ne faut pas avoir d’initiative, il ne faut pas remettre l’autorité en doute, il ne faut pas demander à ce que nos droits soient respectés etc. C’est difficile de se réhabituer à la vie « normale ». Si mon professeur fait des erreurs dans la correction de mon examen, je n’ai pas le réflexe d’aller contester sa décision. C’est comme si je ne veux plus me battre pour des détails, je suis trop fatigué. Je veux garder mon énergie pour ne pas sombrer dans le découragement.
Je travaille en équipe pour un devoir et le gars est bien gentil. Il ne pose pas de questions mais il voit bien que mon passé n’est pas clair. Il ne comprend pas pourquoi, avec toutes mes qualifications, je n’arrive pas à me trouver un emploi. Il voit bien que je suis très bon en programmation et il a vu mes diplômes. L’autre jour je lui ai raconté quelque chose à propos de mes enfants. Quelque chose qui aurait stressé une autre personne mais que je trouvais plutôt drôle. Il m’a dit que ça paraissait que j’avais vécu quelque chose de difficile et que je ne me stressais plus pour des niaiseries. Ça m’a surpris. Je suis soudain devenu sérieux et je lui ai dit qu’il avait raison. Ça arrive souvent, ce soudain retour au sérieux. Un petit rien peut ramener des choses qu’on ne voudrait pas se souvenir comme lorsque je vois passer un policier ou un agent de sécurité avec des gants.
Tu devais avoir hâte de sortir de cet enfer net te retrouver en « liberté », même si au début, on te surveillait de près.
« En prison il ne faut pas avoir d’initiative, il ne faut pas remettre l’autorité en doute, il ne faut pas demander à ce que nos droits soient respectés etc. » Tu n’expliques pas le « pourquoi » il ne faut pas le faire et les conséquences. J’aurais aimé aussi que tu donnes des conseils pour ceux ou celles qui sont incarcérés pour la première fois. Aux États-Unis (réputé pour la violence et les nombreux cas de maltraitance, de non-respect des droits humains – c’est pas moi qui le dit mais Amnesty International – http://amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2014/etats-unis/enterres-vie-cellules-disolement-etats-unis).
J’ai bien aimé, merci ! 🙂