Le trou en prison
Je ne suis heureusement allé au trou qu’une fois. C’était à la prison de comté où ils mettaient tous les nouveaux arrivants pour cinq jours. Ce n’était pas aussi difficile que dans un trou « normal ». J’en ai profité pour me reposer (je venais d’être extradé), lire et écrire.
J’ai trouvé que c’était une bonne idée car ça permet aux autorités de voir qui a besoin d’aide psychologique ou d’un niveau de sécurité spécial. Il y avait une personne en cour de transition de genre elle ne voulait pas être dans un secteur d’hommes. Ce qui était bien aussi c’est que ça permettait à certains détenus de se sevrer. À la prison de RDP j’ai vu des gens arriver encore sous l’effet de substances ou en sevrage. Ce n’est pas toujours plaisant d’avoir quelqu’un comme ça qui partage ta cellule. Des gars qui ont pris du crack pendant des mois et soudainement ils ont faim. Je me réveillais le matin et quelques fois mon coloc avait mangé toute ma nourriture pendant la nuit.
Avec la surpopulation, j’ai eu beaucoup de gens souffrant de maladie mentale dans ma cellule et je n’étais pourtant pas dans le secteur psychiatrique. J’ai eu un monsieur avec l’Alzheimer qui se promenait nu partout ou qui essayait de sortir de la cellule la nuit. C’était triste.
Aux États-Unis le trou s’appelle le SHU (ça se prononce « chou ») pour Solitary Housing Unit. La rumeur, dans la prison où j’étais, était que la prison (privée) recevait un montant d’argent à chaque fois qu’ils amenaient quelqu’un dans le trou et qu’ils recevaient plus d’argent à chaque jour que le gars y restait. Alors quand le trou n’était pas plein, ils n’avaient pas besoin d’une grosse raison pour y ajouter des gens. J’ai vu des gens y aller car ils étaient présents lorsque deux gars s’étaient battus. On les amène pour « investigation », pour qu’ils donnent leur version des faits car le code de la prison est que tout le monde nie tout. Les gars qui se sont battus vont dire que ce n’est pas arrivé mais dans les prisons américaines, c’est assez difficile parce qu’il y a des caméras partout. Ils savent qu’ils se sont battus mais ils veulent savoir pourquoi.
J’avais entendu parler de ce qui se passe dans le vidéo plus haut mais je ne l’avais jamais vu. Il paraîtrait qu’au Canada ils appellent ça un cheval. Aux États-Unis ils disaient un « kite » (cerf-volant) mais dans ce documentaire (de Frontline sur PBS) ils disent « fishing » (pêcher).
C’est drôle car les gens qui ont filmé ce petit film ont dit que c’était comme filmer dans la nature. Il a fallu qu’ils attendent des heures pour le bon moment quand les détenus pensaient qu’il n’y avait personne qui regardait car il est évident qu’ils ne font pas ça quand les gardiens y sont.
C’est ce qui est spécial, les gardiens savent ce qui se passe et tolèrent la situation tant que ça ne se passe pas devant eux. C’est comme ça pour beaucoup de choses. Lorsqu’on avait des œufs durs pour déjeuner j’en ramenais souvent de la cuisine. On n’avait pas le droit mais quand on savait comment les cacher (j’écrirai à propos de ça plus tard), on réussissait à en sortir. J’avais donc souvent des œufs durs dans mes boîtes de rangement. Un jour un gardien est venu fouiller mes choses. Il a dit « Où es la poule qui a pondu tous ces œufs » et est parti .
Les gens s’échangent des journaux, des magazines etc. Ça aide à passer le temps.
La meilleure que j’ai entendu est à propos de la prison de Pittsburgh. Les détenus « flush » un crochet attaché à une corde et les gens aux étages dessous réussissent à l’attraper en « flushant » aussi un crochet. Ils réussissent à s’échanger des messages ou des petits paquets (drogues, pilules…)
Quelques détenus sont très ingénieux en prison. On se dit que s’ils déployaient autant d’énergie à faire des trucs légaux à l’extérieur, ils réussiraient sûrement bien leur vie.
Je n’ai pas réussi à regarder ce vidéo jusqu’à la fin. Ça me ramène trop de choses. Comme ils disent à propos de cet extrait, ce n’est pas l’isolement qui rend fou, c’est le bruit. Je l’ai vécu ailleurs que dans le trou et je sais que j’y serais devenu complètement fou. J’ai encore de la difficulté avec le bruit.
Quelqu’un m’a parlé de la première fois où il est allé au trou. C’était il y a presque 30 ans. Il était révolté à cet âge et s’était attaqué à des gardiens. Ils l’ont mis dans le trou d’une manière assez rude. Il était très fâché et essayait de les attaquer à chaque fois qu’ils venaient. Ils ont arrêté de lui donner à manger et, après quelques jours, ont commencé à lui donner à manger en lançant son plateau par terre et la nourriture volait partout. Il m’a raconté qu’il en était rendu à avoir des hallucinations et à parler à des gens qui n’y étaient pas.
Les gardiens ont voulu le « casser » et ils ont réussi. On voit quand même dans le vidéo que ça ne fonctionne pas toujours. Il y a des gens qui ne pourront jamais se « conformer ». Les mettre dans le trou pendant des années ne réglera pas le problème. Surtout les gens qui souffrent de maladie mentale.