La contrebande de la cuisine de la prison américaine
J’ai pensé écrire un article sur la contrebande en prison mais comme ce serait beaucoup trop long, j’ai décidé de le faire en plusieurs parties.
Aux États-Unis il est défendu de ramener de la nourriture de la cuisine, même si c’est quelque chose qui vient de notre cabaret qu’on n’a pas mangé. Bien entendu il n’y a pas grand monde qui obéi à cette règle. Par exemple, on ne pouvait pas acheter de ketchup, moutarde, sel ou poivre sur la cantine. C’est sûr que les gens allaient en voler. Duh!
Les gardiens nous fouillent au hasard à la sortie du « chow hall » (cafétéria); s’ils trouvent quelque chose, ils le confisquent et, habituellement, nous laissent partir. C’est quand même gênant et il faut être prudent les jours suivants. Si c’est le même gardien à la fouille, on laisse tomber ou on demande à quelqu’un d’autre de ramener nos trucs. Si quelqu’un abuse, il peut avoir un rapport.
Il y avait quelques trucs pour faciliter les choses à la sortie. Tous les employés de cette prison étaient blancs et, sans être tous racistes, on savait que la plupart faisait du « racial profiling ». C’était drôle (et triste à la fois) de voir les détenus se lever et décider de sortir en même temps qu’un groupe de détenus de race noire sortait. On savait que les gardiens les choisiraient pour la fouille. J’avais un ami polonais qui ramenait toujours des gâteaux dans ses poches. Un jour un gardien s’est excusé d’avoir à le fouiller en lui disant : « Désolé, je dois fouiller un blanc de temps à autres ». Mon ami lui a dit qu’il avait des gâteaux dans ses poches et le gardien lui a dit qu’il ferait attention pour ne pas les écraser.
Il fallait trouver des moyens pour cacher la nourriture sur nous pour pouvoir passer la fouille. Comme les gardiens ne nous tâtaient pas les testicules (habituellement), les gens cachaient la nourriture dans leur entre-jambe. Moi je m’étais acheté des sous-vêtements comme sur la photo et je mettais mes choses dans la « porte à pénis » (après les avoir emballées). On avait souvent des oeufs durs pour déjeuner et beaucoup de gens ne les mangeaient pas. J’en ramassais quelques-uns et les glissais dans mon « portefeuille ». Il est déjà arrivé qu’en marchant vers les gardiens les oeufs s’échappent et glissent le long de ma jambe pour sortir à côté de mon pied. C’est assez gênant et ça les fait rire beaucoup.
Pour améliorer la situation j’ai cousu la partie arrière complètement et un peu en avant. Ça fonctionnait parfaitement.
Comme on nous donnait des tortillas à presque tous les repas (presque jamais de pain et jamais de toasts), je m’amenais un sac vide de tortillas, je pouvais en mettre quelques-uns et plier le rebord autour de ma ceinture. Quand il n’y en avait pas trop les gardiens passaient leurs mains dessus et ne sentaient rien. Une fois j’en avais 18 et je sais que le gardien les a touchés. Il m’a laissé partir avec un sourire.
Mais tout ça ce n’est rien comparativement à ce que les gens qui travaillaient dans la cuisine pouvaient faire, de vrais artistes!
Il y avait beaucoup de choses précieuses dans la cuisine : fromage, épices, œufs crus, viande, pain, fruits… Tout le monde travaillant à la cuisine se faisait fouiller à la sortie, il fallait être ingénieux. La porte de la cuisine était toujours barrée et on ne pouvait pas y entrer ou sortir.
Premièrement il fallait avoir des contacts dans la cuisine. Les frigos et entrepôts étaient barrés en tout temps sauf lorsqu’on devait y prendre quelque chose. J’étais « stock boy » et j’y allais souvent. Quand quelqu’un me demandait quelque, je lui donnais ou je lui disais de le prendre. Je prenais mon temps dans les entrepôts pour laisser le temps aux gens de prendre leurs choses. C’était un bon endroit pour s’installer pour manger car il n’y avait pas de caméras. C’est la seule place où j’ai pu manger des fruits car on ne nous en donnait pas. Il y en avait pour ceux qui avaient des diètes religieuses
Un truc pour les œufs était de les casser et de les mettre dans un sac de plastique. Comme c’était liquide, le gardien avait beau tâter, il ne sentait rien.
Le gars qui était en charge de râper le fromage étendait une pellicule moulante (saran wrap) sur une table et y mettait un pouce de fromage et emballait le tout pour se faire une ceinture de six pouces de large. Les gardiens ne le trouvaient jamais.
Pour les épices, c’était à peu près impossible. Elles étaient dans une armoire spéciale sous haute surveillance.
Pour sortir la nourriture il y avait plusieurs façons.
Il y avait des « pannes » de riz, de fèves (bines) et salade (surtout du chou) qui sortaient pour aller dans le « buffet » (200 livres de riz par repas). Des gens mettaient des choses sous la salade et des gens dans la cafétéria ramassaient le butin. Ça prenait tout un réseau.
Les gars qui lavaient la vaisselle gardaient de la nourriture près d’eux (quelques fois un jambon complet). Il y avait une grande fenêtre pour que les gens qui sortent de la cafétéria puissent rendre leur cabaret sale. Les « dishwashers » lançaient la nourriture à quelqu’un qui sortait si aucun gardien ne regardait.
Le « kart » de nourriture qui allait à la clinique médicale se faisait remplir de trucs que les gars travaillant à la clinique médicale pouvaient sortir.
Quelques fois je préparais le repas des « natives » (ceux qui se prétendaient de religion amérindienne*) pour les fois où ils passaient la journée dans le « sweat lodge ». Ce n’était que des sandwichs et des biscuits mais comme on mettait ça dans des boites, j’en profitais pour y mettre toutes sortes de choses. J’espère qu’ils étaient contents.
C’est normal que tout le monde fasse des magouilles, on ne gagnait que 12 cents de l’heure. Et même si tu n’as pas besoin de quelque chose, tu le prends car quelqu’un d’autre en aura besoin. Quand les gens voient que tu es une personne généreuse, ils sont plus généreux avec toi.
Quand tu passes des années dans un endroit comme ça, tu développes le réflexe de toujours te demander quelles sont les failles du système, comment en tirer profit. C’est comme ça qu’on survit en prison. Rien pour nous préparer à vivre en société et se conformer aux règles. Comment peut-on apprendre à respecter le système lorsque le système ne nous respecte pas?
C’est ce qui se passe présentement avec les nouvelles directives de Harper. Les détenus sont traités de plus en plus comme des animaux. Est-ce que ça les prépare à agir en être humain?
* J’écris « prétendaient » parce qu’il y avait très peu d’amérindiens à cette prison (1-2) car ils ont habituellement la double nationalité et, étant américains, ils ne pouvaient normalement pas être incarcérés avec nous.
Très bon article, toujours plaisant d’en apprendre sur la vie en-dedans, surtout venant de ceux qui y ont séjourné. Travaillant dans le milieu des maisons de transitions, j’oserais en demander plus de ce milieu 🙂
Garde espoir dans tes démarche !
Je viens de tomber la-dessus, qu’est-ce que tu en penses ?
http://fr.wikihow.com/gérer-la-prison
J’avais vu une version anglaise de la prison fédérale américaine : http://www.wikihow.com/Survive-in-Federal-Prison et ça correspondait assez bien à ce que j’avais vécu. Le lien que tu m’as envoyé serait plus pour des prisons d’état (state prison). Il y a plein de choses qui ne s’appliquent pas vraiment à notre système au Canada :
– Je n’ai pu aller que 6 -7 fois à la bibliothèque lorsque j’étais à Rivière-des-Prairies et j’y ai été un an. Avec la surpopulation qui s’est aggravée, ça ne doit pas être mieux. Même chose pour les activités. L’école est fermée tout l’été alors il n’y a pas grand chose à faire.
– À R.D.P. le gym était souvent fermé parce que les détenus en « trop » y logeaient « temporairement ». Ils ont même installé une laveuse et une sécheuse dans la salle de bain du gymnase.
– Je n’ai jamais vu ou entendu parler de viol et je savais pas mal tout ce qui se passait.
– Au provincial les pédophiles sont dans des secteurs de « protection ». Au fédéral, à tout le moins au minimum, ils sont mélangés avec la population mais les gens ne leur parlent pas. Il n’y a pas de violence envers eux à moins qu’ils fassent quelque chose de pas correct. Disons que les gens ne sont pas très patients envers eux.
En gros, si tu ne manques pas de respect envers les autres et que tu fais attention à ce que tu dis, personne ne devrait te battre. Les choses ont changé. Avant tu te faisais battre si tu traitais quelqu’un de cochon. Peu de chances que ça arrive aujourd’hui.