Les nouvelles politiques du Service correctionnel
On a beaucoup entendu parler dernièrement du rapport du vérificateur général à propos des nouvelles politiques du gouvernement Harper.
J’aimerais exprimer mon opinion personnelle à propos de tout ça.
Lorsque j’étais en prison aux États-Unis, les conditions étaient difficiles, on était privé de tout. Par exemple, on n’avait pas d’ustensiles à part ce qu’ils appellent « spork ». C’est un hybride de cuillère et fourchette (spoon/fork = spork). Ce truc était si mou qu’on avait de la difficulté à prendre le beurre d’arachide dans notre pot. On pouvait acheter quelques légumes sur la cantine mais on n’avait absolument rien pour les couper. Il y avait donc tout un trafic pour obtenir des choses pour couper les légumes. J’ai travaillé à la cuisine et quelques fois j’ai réussi à glisser des couvercles de boîtes de conserve sous la porte. J’ai réussi à avoir un couteau en plastique car quelqu’un que je connaissais est allé faire le ménage dans le local où les employés de l’école mangeaient.
Ce n’est qu’un exemple. Il y avait du trafic pour tout : T-shirts de la lingerie, papier collant, papier sablé, nourriture, aiguilles pour coudre, etc. Il y avait des gars qui réussissaient à sortir des bâtons de bois de l’atelier pour tartiner leur beurre d’arachide.
Tout ça pour dire que lorsqu’on est privé de tout, on a le réflexe d’observer partout en tout temps. Si tu vois un trombone pour le papier, tu le prends au plus vite avant que quelqu’un te voie. Que tu en aies besoin ou non n’est pas important. Quelqu’un va en avoir besoin.
Les gens ne gagnent pas beaucoup d’argent et doivent donc s’organiser pour faire de l’argent autrement que le travail de la prison car ça ne paie que 12 sous l’heure (il fallait que je travaille deux heures et demie pour payer une minute de téléphone). Les gens ont chacun leur spécialité. Il y a le gars qui répare les radios, un autre les souliers, un autre la nourriture de la cuisine etc. Les gens qui ont assez d’argent essaient d’aider les autres en les payant pour faire leur lit ou leur lavage etc.
Mais qu’est-ce qui arrive à ces gens lorsqu’ils sortent de prison? Je suis passé par la prison canadienne un an avant de sortir et lorsque je suis sorti j’avais quand même de la difficulté lorsque je voyais des choses qui traînaient sans surveillance. Je n’ai rien pris car je n’avais besoin de rien mais c’est comme un réflexe. Au début je voyais quelque chose et tout de suite j’avais le « rush » de vérifier s’il y avait quelqu’un autour. C’était vraiment bizarre. Ce n’est pourtant pas ma nature mais lorsque c’est une question de survie, ça change qui on est. J’étais quelqu’un qui n’aurait jamais pensé à voler quoi que ce soit et c’était devenu une seconde nature, un réflexe.
Ce que j’ai toujours dit c’est que lorsque tu traites les gens comme des animaux, ils agissent comme des animaux. Comment vouloir faire des citoyens honorables avec les gens lorsqu’on les force à enfreindre les règles pour survivre?
C’est pourquoi, selon moi, il est important que les gens passent par une prison à sécurité minimale tel que c’était auparavant au Canada avant leur sortie.
Lorsque je suis arrivé au CFF (Centre Fédéral de Formation) tout était différent. C’était avant le changement du niveau de sécurité et des problèmes de surpopulation. Tout le monde travaillait ou allait à l’école et gagnait assez d’argent pour bien arriver. Il y avait un peu de trafic de nourriture mais pas grand chose. Par exemple on pouvait demander à quelqu’un qui travaillait à l’atelier de couture si on pouvait avoir une fermeture éclair pour réparer quelque chose et il nous le donnait. Les gens s’entraidaient. Comme dans une société normale.
Lorsqu’il faisait beau les gens marchaient et pouvaient arrêter à la cantine pour s’acheter une crème glacée et en offrir une à l’autre personne avec qui ils étaient. C’était comme être l’autre côté de la clôture et arrêter à un dépanneur.
Les gars commençaient à faire des sorties tranquillement pour s’habituer à la vie extérieure. Ils faisaient du bénévolat un peu partout en ville. Ça leur permettait de voir des gens « normaux ».
Il me semble que rendre les conditions plus difficiles n’aidera pas les gens à se réintégrer. Il faut comprendre quand je dis ça que ça ne veut pas dire que je veux que tout soit facile (la piscine c’était fort un peu) mais plus la réintégration est difficile, plus le risque de récidive est grand. Ça a des coûts économiques et sociaux.
Avant que je parte, le gouvernement avait annoncé qu’il chargerait une pension aux détenus (je crois 30% de leur salaire). Il n’y avait plus de temps supplémentaire ou de gens qui avaient deux emplois. Parce qu’il y a surpopulation et coupure dans les programmes, moins de gens ont des salaires. On coupe aussi dans les augmentations. On m’a refusé toutes les augmentations auxquelles j’avais droit et je ne suis pas le seul.
Il y aura donc de plus en plus de gens qui n’auront pas d’argent. Je suis sûr qu’il y aura de plus en plus de magouilles, trafics etc. Ça va changer complètement l’état d’esprit des gens en prison. Ce ne sera plus une atmosphère d’entraide mais plutôt de toujours se demander ce qu’on pourrait retirer des relations avec les autres, ce qu’on pourrait leur vendre ou acheter. Pas vraiment quelque chose qui prépare à la vie en société.
Bien entendu on coupe aussi dans les sorties de bénévolat et comme il y a surpopulation, moins de gens réussissent à passer par un minimum avant leur sortie. Donc plus de gens qui sortent d’un medium ou maximum directement. Ces gens-là n’ont jamais eu de sorties à l’extérieur avant leur libération.
Il y a aussi les gens qui ont des sentences à vie qui doivent passer par un minimum avant leur sortie. Ils seraient peut-être prêt à sortir mais il n’y pas de place pour eux dans les prisons à sécurité minimale.
Il y a des gens qui disent que les détenus ont ce qu’ils méritent, qu’on devrait être plus dur avec eux. Premièrement il faut être pratique, qu’ils le méritent ou pas, il me semble que le plus important c’est de s’arranger pour qu’ils ne recommencent pas, les préparer à la vie extérieure. Deuxièmement, il y a bien des gens qui sont en prison pour des choses que beaucoup de gens à l’extérieur ont fait sans s’être fait arrêter. Ils ont seulement été chanceux (ou malchanceux). Beaucoup de gens ont conduit avec les facultés affaiblies au moins une fois dans leur vie. Il y en a qui ont eu la malchance de tuer ou blesser quelqu’un. Je sais que c’est terrible mais ça aurait aussi pu arriver à celui qui n’a pas eu d’accident. Qui est la pire personne : celui qui a conduit ivre et n’a frappé personne ou celui qui a conduit ivre et frappé quelqu’un? La même chose pour tous les gens qui se sont déjà battu, etc. Tout ça aurait pu mal tourner. Est-ce que ces gens vont encore faire quelque chose dès leur sortie?
Il me semble que lorsque tu traites les gens humainement, ils vont agir en être humain. Il y a des gens qui vont en prison qui ont eu une vie difficile. Ils n’ont pas pu aller à l’école, apprendre un métier etc. Je pense qu’en les formant à devenir des citoyens productifs, à les sensibiliser au fait qu’ils font partie de la société, ils prendraient goût à vivre une vie plus conventionnelle. En leur rappelant tous les jours qu’ils sont la lie de la société ne leur donnera pas le goût de s’en sortir.