L’ancien ministre Toews et moi
Lorsque j’étais en prison aux États-Unis, on parlait beaucoup de Vic Toews. C’était le ministre de la Sécurité publique et par le fait même responsable du Service correctionnel qui s’occupait du transfert des détenus pour qu’ils/elles puissent finir leur sentence au Canada. Le pourcentage d’approbation des transferts était passé de presque 100% à presque zéro tout d’un coup.
Je n’entrerai pas dans les détails mais on avait fini par me convaincre de plaider coupable aux États-Unis en me disant qu’un procès durerait des années et que si je plaidais coupable je serais transféré au Canada rapidement et qu’au Canada je pourrais bénéficier d’une sortie au sixième de ma sentence. Le procureur a signé un document attestant qu’il ne s’opposerait pas à mon transfert. La représentante du consulat canadien m’a dit que le Canada m’approuverait. Le juge a mis dans le jugement que je devais être considéré pour le transfert.
Malheureusement Washington a refusé mon transfert. On m’a dit que c’était parce que l’agent de police qui s’était occupé de mon dossier s’y était opposé car j’avais refusé de faire un faux témoignage contre quelqu’un d’autre (quelqu’un de connu au Québec).
J’étais donc en prison et j’envoyais des lettres pour obtenir des renseignements pour savoir pourquoi, même si on me confirmait que je n’avais commis aucun crime, on m’avait arrêté et extradé. J’avais été extradé pour complot de production d’une drogue alors que je n’avais aucun co-conspirateurs et qu’ils n’avaient trouvé personne parmi 5000 clients qui avait l’intention de produire cette drogue. J’ai fini par plaider coupable à un chef qui dit que j’ai fait une transaction d’argent de plus de 10 000$ venant des ventes d’une substance contrôlée.
Plaider coupable à ça m’avait stressé un peu car c’est un chef qui n’existe pas au Canada et la Loi sur les transferts dit qu’on ne peut pas transférer quelqu’un pour un crime qui n’existe pas au Canada. C’est normal car comment le détenu pourrait finir une sentence au Canada pour quelque chose qui n’y est pas illégal? Comme mon transfert avait été refusé par les américains c’était une question qui ne se posait plus.
Alors que j’envoyais mes lettres un peu partout, j’ai reçu une lettre de Vic Toews signée de sa main. Je ne lui avais pourtant jamais écrit. Il me conseillait de porter plainte au syndic du Barreau contre les procureurs ayant travaillé sur mon dossier. J’ai trouvé bizarre qu’il m’écrive. Je me suis dit que c’était peut-être un signe qu’il se passait quelque chose au Canada.
Un mois plus tard j’ai reçu une lettre de Washington. J’étais approuvé pour le transfert.
Trois semaines plus tard j’ai reçu une lettre de Ottawa. J’étais approuvé pour le transfert. Ça a fait capoter pas mal de monde à la prison car certains attendaient leur approbation depuis 20 mois.
J’étais content. Le chef qui n’existait pas au Canada avait été changé. C’était maintenant complot d’importation d’une substance contrôlée. Une substance qui n’est devenue contrôlée que 40 mois après mon arrestation.
Ça me rendait triste quand même de voir que le ministre Toews prenait son temps pour approuver le transfert de Omar Khadr en prétextant qu’il n’avait pas pu commencer à traiter sa demande tant que les américains ne l’avaient pas approuvé. Ce qui m’arrivait prouvait que lorsqu’ils veulent transférer quelqu’un, ils en sont capables.
Dans la lettre d’approbation il y avait des documents qui expliquaient les conditions du transfert. Si j’étais d’accord, je signais un document et je le retournais. Dans ces conditions il était écrit que, comme mon tiers était déjà dépassé, la Commission des libérations conditionnelles pouvait prendre jusqu’à six mois pour me rencontrer. Je savais qu’à ce moment le sixième n’existait plus et que la nouvelle loi avait été appliquée rétroactivement (cette décision a été renversée et j’aurais donc dû être libéré complètement deux semaines après mon arrivée au lieu des 20 mois que ça a pris).
Le 15 juin 2012 je suis arrivé au Canada au Centre Régional de Réception. J’ai dû y passer 95 jours. Je ne comprenais pas trop car il était évident (même pour mon agente) qu’on m’enverrait dans un minimum, ça faisait déjà plus de cinq ans que j’étais en prison sans problème. On m’a dit de me calmer et que ça prendrait le temps que ça prendrait. On a fini par faire un rapport et on m’a dit que je passerais devant la Commission des libérations conditionnelles à la fin de novembre (avant le délai maximum de six mois) et que je serais dehors pour Noël.
Le 18 septembre 2012 (exactement 10 ans après mon arrestation) je suis arrivé au CFF (Centre Fédéral de Formation). J’ai rencontré mon ALC (agente de libération conditionnelle) peu après. Elle m’a dit que la Commission n’avait pas le temps de me rencontrer avant janvier 2013. Il est pourtant écrit dans la loi sur les transferts que je devais passer avant le 15 décembre. J’ai trouvé bizarre que je sois le seul qui ait à respecter la loi.
Cette agente m’a demandé de parler des facteurs contributifs à ma décision de commettre des crimes. Difficile à répondre ça. J’ai été extradé pour complot de production, j’ai plaidé coupable à une transaction d’argent et on on m’a transféré sur un chef de complot d’importation d’une substance qui n’était même pas illégale lorsque j’ai été arrêté. Je lui ai expliqué tout ça et je lui ai donné des copies des documents de la GRC et de la Commission des plaintes du public contre la GRC qui disent que je n’avais enfreint aucune loi. Je lui ai expliqué que je n’ai jamais pris la décision d’enfreindre une loi.
Elle a écrit que je n’admettais pas l’illégalité de mes actes etc.
Il faut comprendre que certaines de ces personnes ont le cerveau obtus. Si tu es en prison, c’est parce que tu as commis un crime. Si tu es en prison c’est que tu as des valeurs élastiques. Si tu es en prison, c’est parce que tu souffres de « distorsion cognitive ». Si tu n’entres pas dans le moule, on va te taper sur la tête jusqu’à ce que tu entres.
C’était très difficile d’avoir des discussions intelligentes avec elle. Elle me disait « vous n’avez peut-être pas enfreint la loi mais vous avez fait quelque chose de mal ». Ensuite elle me disait d’aller à des « meetings » pour voir les dommages que j’avais occasionnés. Quand je lui ai dit que j’étais allé aux CA et NA mais que je n’étais pas encore allé aux AA et GA, elle m’a dit que ce n’était pas grave car l’alcool et le jeu c’est légal. Mais moi aussi c’était légal ce que j’avais fait. Je ne lui répondais plus rien. Comme disait un ami aux États-Unis: c’est comme parler français à un gorille.
Habituellement ce sont les détenus qui essaient de rationaliser pourquoi ils ont enfreint la loi mais moi j’étais pris avec quelqu’un qui essayait de rationaliser ma raison d’être en prison. Si un détenu ayant fait pousser de la marijuana pour des gens souffrant du cancer dit qu’il ne faisait rien de mal, on lui répondra que ce n’est pas important. L’important est qu’il a enfreint la loi consciemment. Dans mon cas c’était l’inverse. Elle savait que je n’avais pas enfreint la loi et elle essayait de trouver une raison pour ma présence en prison. C’était devenu personnel. Elle a fait des recherches sur les lois américaines sur Internet etc. J’aurais pu lui dire qu’avec Internet on pouvait prouver que la fin du monde était en 2012 mais comme je l’ai dit : c’était comme parler français à un gorille. Je la laissais aller.
Au début d’octobre 2012 elle m’a fait venir dans son bureau en urgence. J’arrive là et elle me dit que si je veux passer devant la Commission des libérations conditionnelles en janvier 2013 c’est mon droit mais elle ne me recommandera pas ce qui fera que je devrai attendre un an de plus pour refaire une demande. Elle m’explique qu’elle voudrait que je reste plus longtemps pour que je puisse faire des sorties familiales (aller passer quelques journées chez mon frère à Montréal) et des sorties de bénévolat. Ça me préparerait mieux à ma sortie. Elle dit que c’est urgent que je signe le document pour reporter cette date à mai 2013 car c’est le dernier jour pour le faire. Si je ne signais pas tout de suite, il serait trop tard. J’ai signé.
J’étais quand même tanné de tout ça. J’ai écrit une lettre au ministre Toews (ma première) où j’expliquais ce qui s’était passé. J’avais cru ce que mon agente avait raconté et je disais seulement au ministre que ma patience commençait à s’user et qu’il serait préférable que la Commission décide ma libération en mai 2013. Ce n’était pas une menace, les journalistes appelaient mon frère pour que je les contacte et je ne faisais rien. Je voulais sortir et régler ça de façon paisible.
Plus tard j’ai appris que mon agente m’avait menti. On peut faire retarder une audience devant la Commission jusqu’à deux semaines avant de passer (pas quatre mois) et ce n’est pas la Commission qui n’avait le temps de me voir avant janvier, c’était elle qui voulait plus de temps. Tout le monde ayant été transféré avec moi a passé dans les six mois prescrits (sauf un autre gars qui avait la même agente que moi, même s’il avait déjà une date confirmée par la Commission, elle lui a fait le même mensonge).
Malgré qu’elle m’ait écrit à quelques reprises qu’on se rencontrerait sous peu, on ne s’est pas vu avant janvier 2013. Elle n’était pas contente. Elle a appris que j’avais écrit au ministre car le bureau du ministre avait appelé les autorités de la prison pour savoir ce qui se passait. Elle était fâchée et m’a dit que je n’aurais aucune sortie et que je ne sortirais pas en mai. Moi quand j’avais écrit au ministre je ne savais pas qu’elle m’avait menti. J’étais fatigué, je lui ai dit de faire ce qu’elle avait à faire et que je ferais ce que j’avais à faire.
Quelques jours plus tard j’ai reçu une réponse à ma lettre au ministre : « je vous suggère de déposer une plainte… » Je connais comment ces gens fonctionnent et il n’était pas écrit quelque chose du genre « si vous n’êtes pas satisfait vous pouvez déposer une plainte. » On me disait clairement de déposer une plainte. Je ne l’ai pas fait car on aurait maintenant dit que j’avais un problème d’attitude.
Quelques semaines plus tard je l’ai encore rencontrée. Elle m’a dit que c’était difficile de discuter avec moi car j’étais sur la défensive. Je lui ai répondu que c’était difficile de lui faire confiance depuis que j’avais appris qu’elle m’avait menti à propos des dates de comparution etc. Elle est devenue un peu mal à l’aise et tout à coup m’a fait un sourire et m’a dit « mais Monsieur XX, je ne vous ai rien forcé à signer, je n’ai pas mis le crayon dans votre main, c’était votre décision ». Moi j’appelle ce qu’elle avait fait de l’abus de confiance comme décrit à l’article 122 du code criminel :
122. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans tout fonctionnaire qui, relativement aux fonctions de sa charge, commet une fraude ou un abus de confiance, que la fraude ou l’abus de confiance constitue ou non une infraction s’il est commis à l’égard d’un particulier.
Pour moi la définition d’un criminel, c’est quelqu’un qui enfreint le code criminel. Et ça, pas besoin de faire de la prison pour ça. Et pour moi c’est un bel exemple de « valeur élastique » : mentir c’est mal sauf quand ça fait mon affaire.
La liste des crimes qu’elle a commis est plus longue que ça. Elle a écrit des renseignements faux pour nuire à ma réputation dans son rapport (plusieurs maisons, des voyages etc.) ce qui va à l’encontre de deux articles du code criminel :
298. (1) Un libelle diffamatoire consiste en une matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un
300. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque publie un libelle diffamatoire qu’il sait être faux.
Avant de sortir de son bureau je lui ai demandé si elle avait reçu une copie de la lettre que j’avais reçue du bureau du ministre. Elle m’a répondu que non. Ça a été à mon tour de lui faire un beau sourire et de lui souhaiter une bonne journée avant de partir.
Peu de temps après j’ai reçu son rapport. Plein de mensonges (elle avait même changé le chef d’accusation) et la mention « Monsieur XX veut toujours rétablir les faits ». C’est quelque chose que je trouve difficile, faire affaire avec des imbéciles. Cette personne sait que le ministre s’intéresse à mon dossier, elle sait que des journalistes ont fait des demandes pour venir me visiter, elle sait qu’un journaliste a fait une demande pour assister à l’audience et elle continue d’agir en dépit du bon sens.
C’est bizarre ces gens qui écrivent qu’il y a un risque de récidive mais qui ne sont pas capables de dire ce que j’ai fait d’illégal ou ce que je risque de recommencer à faire.
Bien entendu, dans ce rapport, elle n’avait pas mis les documents des autorités disant que je n’avais commis aucun crime. Je lui avais pourtant remis le tout.
J’ai écrit à la Commission avant notre rencontre pour « rétablir les faits ». Pas grand-chose, seulement une copie des documents et dire que j’aurais aimé travailler avec mon agente mais elle n’était intéressée qu’à prouver que j’avais enfreint une loi consciemment.
Lors de la comparution, en mai 2013, les commissaires n’ont pas été tendres avec elle. Ils n’ont pas aimé qu’elle ait écrit que j’avais profité d’une loi nébuleuse. Ils lui ont dit que ça n’existait pas des lois nébuleuses. C’est légal ou ça ne l’est pas et que dans mon cas c’était légal. Elle s’est mise à argumenter avec eux à propos de tout ça, prouvant ce que je leur avais écrit. Elle avait pourtant reçu une copie de ma lettre, elle aurait dû comprendre que ce n’était pas à son avantage de démontrer que j’avais raison. Ensuite elle s’est plainte que j’aurais dû venir la voir quand j’ai vu qu’il y avait des erreurs dans son rapport. J’ai expliqué que je ne voulais pas passer pour quelqu’un qui « voulait toujours rétablir les faits. »
Pour ce qui est des liens que j’aurais eu avec le crime organisé, ils ont réglé ça assez vite. Ils ont bien vu que c’était ridicule. Je travaillais pour une compagnie qui achetait des produits légalement d’une des plus grandes entreprises du monde. Des colis étaient envoyés à des gens que je ne connaissais pas qui passaient des commandes par Internet. Je déclarais mes revenus et payaient mes impôts. Elle rouspétait mais ce n’était pas elle qui avait le dernier mot. Je suis parmi les rares personnes en libération conditionnelle qui a le droit de voir qui ça lui plait. Je ne rencontre quand même personne. Les seuls gens que je connais à Montréal sont ceux que j’ai rencontrés en prison ou à la maison de transition et ils n’ont pas le droit de me parler.
Pauvre elle, mon avocate (qui ne s’était pas présentée à six de nos rendez-vous et qui a « oublié » d’envoyer les documents à la Commission) m’a dit qu’en 30 ans de carrière elle n’avait jamais vu une ALC se faire parler comme ça.
Je ne sais pas si le ministre Toews a quelque chose à voir dans tout ça. Je sais que le Service correctionnel est indépendant de la Commission des libérations conditionnelles. Mon avocate m’a quand même dit que les nominations à la Commission sont politiques. Je ne sais pas si c’est vrai.
Je dois quand même dire que je ne suis pas d’accord avec les directives amorcées avec M. Toews mais je n’ai pas à me plaindre personnellement de lui.
Ah oui, les commissaires ont décidé que je devais être libéré. J’ai rencontré mon agente quelques jours plus tard lorsqu’elle m’a fait signer des documents. Elle m’a dit : « c’est la dernière fois qu’on se voit ». C’était bien tentant de lui dire que pour une personne qui était sûre que j’allais récidiver, elle semblait tout à coup sûre que je ne reviendrais plus en prison.
Beau travail je te souhaite une bonne continuation, et bravo, vous avez toute mon estime .