Michal et la vie américaine
Michal est un gars que j’ai rencontré à Moshannon Valley Correctional Center, Pennsylvanie. Il est polonais mais a immigré au Québec il y a très longtemps. Je le trouvais comique car il était le genre de personne bohème qui avait eu toutes sortes d’aventures loufoques. On pouvait discuter de tout, il était très cultivé et aimait beaucoup apprendre. Il était toujours occupé à faire toutes sortes de choses.
Il a eu un conflit avec un autre détenu et a été transféré à D. Ray James Correctional Center, Georgie. Une autre prison qui appartient à Geo. La même prison où a été Marc Emery pendant un certain temps.
Michal est encore en Georgie et on s’écrit de temps à autres. Je sais ce que c’est de recevoir des lettres en prison alors je fais un effort. Je me suis même abonné à jmail.cc, un service privé qui permet d’envoyer des courriels aux gens en prison. J’entre un message dans leur système, ils l’impriment et envoient la lettre au détenu. Ça ne coûte que 1$ par lettre. Moins cher que si je les envoyais d’ici et plus simple. Les services offerts aux prisonniers représentent une grosse industrie aux États-Unis.
Comme je disais il est très occupé et c’est difficile d’écrire des lettre à la main alors il n’écrit que dans des occasions spéciales. Ça me fait drôle de recevoir ses lettres car il y décrit un peu sa vie et ça me ramène plein de souvenirs.
Voici un extrait de ce qu’il m’a écrit (je l’ai traduit car il m’écrit en anglais, son français est bon mais il préfère écrire en anglais) :
Nous sommes présentement en « lockdown » car il y aurait eu un bagarre il y a près d’une semaine dans la cour. Supposément une Fève (« beans », c’est le nom qu’il donne aux mexicains) a essayé de battre un J’can (un jamaïcain) avec une pierre dans une chaussette mais il aurait manqué son coup. Alors le J’can aurait pris une pierre et battu le Fève avec (si on mentionne les races, c’est que c’est très important en prison et que ça peut dégénérer rapidement). Supposément, le J’can avait été accusé d’être un délateur (« snitch ») et les Fèves ont envoyé un soldat pour le frapper. Quand c’est arrivé la semaine dernière, je me préparais à quitter la bibliothèque à 15h00 quand les gardes nous ont dit de rester là. Peu de temps plus tard un garde est venu et a pointé les deux seuls autres noirs qui étaient avec nous, un nigérien et un haïtien/canadien et leur a demandé d’aller avec lui. J’ai appris plus tard qu’ils ont séparé tous les noirs qui étaient dans les aires communes. En fait, quand ils nous ont finalement appelés pour le compte de 16h00 à 17h30 (ça c’est grave! on sait qu’il se passe quelque chose de pas normal), j’ai vu des gens encore enfermés dans une des cours, tous noirs. Bienvenue dans le sud de la Georgie!
Je ne peux pas croire que dans quelques jours je pourrai dire : « je quitte l’année prochaine » (il finit sa sentence en août 2016).
Je ne veux pas qu’on interprète ce que je vais dire comme du racisme mais j’ai remarqué que lorsqu’il y avait un problème avec les mexicains, les autorités deviennent très prudentes. Ne pensez pas que je n’aime pas les mexicains, ce sont les gens que les canadiens préfèrent en prison. À la prison où j’étais un noir a battu un mexicain. Le lendemain matin, les mexicains se sont entendus pour battre tous les noirs qu’ils voyaient, tous à la même heure. Les autorités ont mis la prison en « lockdown » pour plusieurs mois.
Une autre fois un mexicain est mort parce que l’infirmerie avait refusé de le soigner. Le lendemain 300 mexicains se sont groupés tous en même temps dans la partie centrale qu’on voit sur la photo. On avait normalement le droit d’être là que pour les déplacements et on ne pouvait marcher que sur les trottoirs. Les mexicains entouraient le directeur de la prison pour lui demander des explications.
On nous a mis encore en « lockdown » pour une semaine. Normalement ça augmente les tensions dans les secteurs mais pour nous ça s’est très bien passé. On s’est retrouvé avec une dizaine de personnes de moins et les gens du secteur adjacent ne pouvaient pas venir de notre côté (les plus turbulents venaient de ce secteur). C’était très paisible. Ça faisait une grosse différence d’avoir une dizaine de détenus en moins. Je m’imagine que la situation doit être devenue infernale depuis qu’ils ont AJOUTÉ 15 détenus dans chaque dortoir.
Pour une passionnée de tout ce qui touche la réinsertion sociale comme moi, c’est très plaisant de lire tes pensées et tes expériences de vie. Tu es un bon raconteur, ton style d’écriture rend ça vraiment agréable à lire. Bonne continuité!
Merci Sophie, c’est bien gentil. Des compliments comme le tien me font beaucoup de bien. C’est un peu difficile depuis quelques temps car j’ai beaucoup de travail (que je n’aime pas vraiment) mais les choses vont se placer. J’ai plein de trucs à écrire mais pas le temps de le faire.
Je suis tombée sur ton site récemment, donc en attendant tes prochaines réflexions je vais pouvoir lire tes archives. Des heures de plaisir!
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