J’ai une vie, moi!
Comme je l’ai déjà écrit, je me tenais très occupé en prison. Tant qu’à être là je vais m’arranger pour que ce ne soit pas du temps perdu. Pourquoi ne pas en profiter pour devenir quelqu’un de mieux?
Au début quand j’arrivais dans une nouvelle prison, j’observais pour connaître quels étaient les « codes », les règles, à qui je peux faire confiance etc. Il faut aussi que tu te fasses connaître, que les gens apprennent qui tu es, d’où tu viens. Par exemple lorsque je suis arrivé au CFF dans ma nouvelle « rangée » il y a un gars qui m’a fait comprendre que les nouveaux qui n’étaient en prison que pour un an ou deux n’avaient pas les mêmes droits (de l’espace dans les armoires etc.) Je ne me suis pas obstiné, je le comprenais très bien. Quand il a su par où j’étais passé il est devenu très gentil avec moi. Il me donnait toutes sortes de choses comme de la vaisselle, des épices etc. Les gens voient vite quelles genres de personnes on est.
Après quelques semaines au même endroit je savais à qui je pouvais faire des blagues et les gens, me connaissant, savaient que ce n’était rien de méchant.
Il y avait des gens qui avaient du temps à perdre. Il m’arrivait donc souvent de dire aux gens qui venaient me parler de choses pas intéressantes : « J’ai une vie, moi! » Je n’avais pas de temps à perdre en niaiseries. Ça les faisait vraiment rire. Quelques fois on était assis plusieurs gars ensemble et lorsque ça devenait stupide ou ennuyant, je faisais comme Homer: je me mettais à ronfler. Ça aussi ça les faisait rire. Il y avait un sujet que j’étais tanné d’entendre parler car les gens disaient plein de choses sans savoir de quoi ils parlaient : le transfert.
C’était la période où le gouvernement fédéral a changé de Libéral à Conservateur et c’est passé de 100% d’approbation à presque zéro. Il y avait donc les nouveaux qui arrivaient de la prison de comté après avoir reçu leur sentence et qui pensaient être transféré au Canada tout de suite car ils s’étaient fait promettre ça par leur avocat pour qu’ils acceptent n’importe quoi. Et là les « anciens » leur expliquaient comment ça « fonctionnait ». Les gens répètent des histoires qu’ils entendent sans savoir ce qu’il en est vraiment. Personne ne lit les documents qu’ils reçoivent du gouvernement. Je préférais m’en aller plutôt que d’entendre des imbécillités comme ça.
Par contre je me suis fait jouer un tour lorsque je suis arrivé au Canada. Lorsque tu dis « J’ai une vie » au Canada, ça veut dire que tu as une sentence à vie. Ce n’est pas le genre de choses avec laquelle tu fais des blagues. Les gars qui ont « une vie » font comme partie d’une classe à part. Les gens leur montrent beaucoup de respect. J’ai de la difficulté avec les conditions que j’ai présentement et je n’en ai pas beaucoup. Je ne peux pas m’imaginer ce que ça pourrait être si j’avais à vivre ça le reste de ma vie.
Je comprendrais que beaucoup de ces gars abandonnent, se mettent sur l’aide sociale et ne fassent pas grand chose de leur vie. Ils sortent de prison lorsqu’ils sont vieux et ont manqué une grande partie de leur vie. Ils n’ont pas appris à vivre en société. Ils n’ont plus de contact avec leur famille. Ils « remontent » en prison au moindre écart (boire de l’alcool s’ils n’ont pas le droit etc.) et ça peut arriver n’importe quand. Il faut des permissions spéciales pour s’éloigner de plus de 50 km. Il faut que le Service correctionnel enquête sur leur nouvelle blonde, ça veut dire la rencontrer et révéler tout du crime de la personne. Ils ont quelqu’un qui regarde par dessus leur épaule constamment.
Je sais que c’est quand même mieux que d’être en prison. Je veux juste que les gens comprennent que la sentence, ce n’est pas fini lorsqu’on sort de prison. Et même lorsqu’on n’a pas une sentence à vie, on reste marqué pour la vie. Que ce soit dans notre façon de voir les choses ou de la façon que la société nous voit.
Il me semble quand même que je ressens toujours cette urgence, ce besoin de ne pas perdre mon temps. Je dis encore ça souvent : « J’ai une vie, moi! » J’ai beaucoup de difficulté à me détendre et ne rien faire. Quand je veux me gâter, je m’assois devant mon ordinateur et j’écris pour ce blogue. J’entre dans ma « zone ». J’écoute de la musique et j’oublie le temps qui passe. Ce temps que j’ai appris à apprivoiser. C’est bizarre comme la chose qui me satisfait le plus depuis que je suis sorti de prison est la même que celle que je pratiquais le plus en prison. C’est cette activité qui me faisait oublier où j’étais et qui me permettait d’apprécier cet endroit et les gens avec qui je vivais. Je m’assoyais à mon lit avec mes deux boîtes contenant toutes mes possessions empilées pour me faire un bureau. J’écoutais de la musique et j’écrivais de longues lettres.
Il y avait longtemps que je n’avais pas écrit mais j’ai retrouvé ce plaisir hier. Ça m’a fait du bien. C’était comme retrouver un vieil ami. Je vais essayer d’être plus régulier.