Préface pour un éventuel récit de ce qui m’est arrivé
J’aime comprendre.
Je veux savoir pourquoi les choses arrivent. Si j’ai fait une erreur, je veux ne pas la répéter, je veux ressortir de tout ça un peu plus intelligent, que ça n’ait pas été inutile.
Ça fait presque six ans que j’ai été arrêté par la GRC et je ne sais toujours pas pourquoi. Ces gens me disent pourtant que je n’ai enfreint aucune loi.
Ça fait presque six ans que j’ai été arrêté et le responsable chez Santé Canada, l’organisme qui rédige les lois concernant mon présumé « crime », me dit que je n’ai enfreint aucune loi.
Ça fait presque six ans que j’essaie de trouver un avocat qui croira ce que je lui dis. Ceux que j’ai eus sont très contents de me facturer des dizaines de milliers de dollars pour ne rien faire car, selon eux, personne ne peut gagner un cas d’extradition. Bien entendu ils me disent ça après avoir reçu mon argent. Ils refusent ensuite de répondre à mes appels.
Le greffier de la Cour Suprême m’a dit que j’avais tout mon temps pour me trouver un autre avocat pour présenter mon appel.
Et pourtant on m’a réveillé ce matin dans ma cellule de la poubelle qu’est la prison de Rivière-des-Praires pour me dire que j’étais «transféré».
Je n’ai pas pu appeler le nouvel avocat que je venais de trouver.
Je n’ai pas pu appeler ma famille.
Sans explications, je me suis retrouvé avec des menottes aux poings à l’aéroport.
Sans explications, je me suis retrouvé dans un avion qui m’a amené à Buffalo, New York.
Les gens me parlent de l’humiliation de se promener dans un aéroport avec des menottes accompagné par des marshals. Ça fait longtemps que j’ai dépassé ce stade. Ça fait presque six ans qu’on viole mon essence, ce qui fait de moi ce que je suis.
J’ai fait comme d’habitude, j’ai déconnecté mon cerveau.
J’ai fait comme d’habitude, je me suis enfermé dans ma bulle pour ne plus ressentir la douleur des menottes, l’humiliation, la rage, la tristesse, la faim.
J’ai fait comme d’habitude, j’ai anesthésié mon intellect, je ne suis plus humain, rien ne me touche.
Le Canada a décidé que je n’étais qu’un bestiau à être « livré » à son maître américain. Ces gens ont raison, c’est ce que je suis devenu, un sous-homme sans droit.
Après deux jours de transferts et de présences à la cour, je peux enfin me reposer dans ma nouvelle cellule sans fenêtre, dans le « trou » où je passerai mes prochains cinq jours, d’où je ne sors que dix minutes par jour pour prendre ma douche.
Après deux jours de transferts et de présences à la cour, je peux enfin manger et penser à ce qui vient de se passer. Je peux «reconnecter» mon cerveau.
Ma famille ne sait pas que je suis ici. Je ne peux pas les appeler et je ne pourrai pas le faire les 15 mois suivants que je passerai ici, dans cette prison sans fenêtre où je ne peux pas voir dehors.
En ce jour du 25 avril 2008, je ne comprends pas pourquoi je suis ici.
Et 14 ans plus tard, je ne comprends toujours pas.
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