Qu’est-ce qu’un imbécile?
Il a été porté à mon attention dernièrement que j’utilisais souvent le mot imbécile pour parler des autorités et que je ne l’utilisais jamais pour des gens que j’avais rencontrés en prison.
Je n’ai peut-être pas utilisé le mot imbécile pour des détenus mais j’ai quand même discuté des comportements stupides que certains ont. Des gens qui réussissent à sortir de prison avant la fin de leur sentence et qui y retournent seulement parce qu’ils sortent dans des bars avec d’autres gars qui habitent dans la même maison de transition (trois fois pour le même gars). Des gens qui finissent leur sentence et qui retournent en prison deux jours plus tard.
La différence, peut-être, est que ces détenus savent qu’ils ont fait quelque chose de pas correct. Il y a quand même des « imbéciles » qui blâmeront le système ou tout le monde sauf eux-mêmes.
Après y avoir pensé, peut-être que mon choix de mot n’était pas le meilleur.
Je vais donc vous demander votre aide pour trouver un mot plus judicieux en expliquant quelques situations qui me donnent envie de crier.
Il y a quelques années Omar Khadr a été arrêté (ou capturer) en Afghanistan. Il avait 15 ans. Je mets ici un résumé extrait de wikipedia :
Lors du bombardement qui a précédé l’attaque au sol, par les Américains, Khadr a été blessé aux yeux et l’enquêteur américain a écrit qu’il se demandait comment Khadr aurait pu lancer une grenade, étant donné l’étendue des blessures qu’il avait aux yeux. Selon les photos, les blessures à la poitrine de Khadr sont des sorties de balles et qu’il a été tiré dans le dos.
L’un des principaux soldats américains déclare avoir vu un combattant tirer avec un AK-47. Le soldat l’a alors abattu. Le même soldat a alors vu, dans le même couloir, Khadr, face contre un mur. Ce soldat affirme lui avoir tiré dans le dos. De plus, l’affirmation officielle selon laquelle seul Khadr était encore vivant après le bombardement, est contredite par les soldats américains présents. Un rapport, écrit le lendemain de l’attaque, d’un des chefs de commando américain affirme que celui qui a lancé la grenade a été tué par le commando. Quelques jours après, le rapport officiel a été corrigé, pour retirer cette affirmation.
Le reste du reportage relate les mauvais traitements qu’aurait subis Khadr et la vraisemblable implication des services de renseignements canadiens dans ces mauvais traitements. Alors qu’il est interné à Millhaven, Omar Khadr prépare une poursuite de 10 millions de dollars contre le gouvernement canadien.
Il n’y a aucune preuve qu’il ait pu faire ce dont il était accusé et même s’il l’avait fait, il avait 15 ans. Son père l’avait entraîné dans toute cette histoire. Il a été torturé pendant des années et notre gouvernement (car Omar est né au Canada) n’a rien fait pour lui et a même participé à cette mascarade de justice.
Omar, épuisé par toutes ces histoires, a fini par plaider coupable à des accusations bidons. Il était entendu qu’il aurait 8 ans de sentence (en plus de 8 ans déjà purgé) et qu’il serait transféré au Canada pour y terminer sa sentence. Malgré tout ça, son transfert a pris deux ans. Deux ans de plus à faire à Guantanamo Bay.
Ce qui m’a vraiment fâché c’est lorsque j’ai lu que le ministre Toews aurait déclaré que le Canada attendait que les américains aient approuvé le transfert avant de commencer à traiter sa demande. C’est tellement ridicule. Mon transfert avait été refusé par les américains et quelqu’un à Ottawa m’a dit d’appliquer quand même et qu’on traiterait ma demande même si elle avait été refusée par les américains. Lorsque les américains ont fini par m’approuver, le Canada m’a approuvé 3 semaines plus tard. Alors quand j’entends un ministre mentir comme ça à propos d’un enfant qui a été enfermé (et torturé) pendant huit ans et qu’il cherche des raisons pour qu’il y reste encore plus longtemps, ça me donne mal au cœur.
Depuis son retour, Omar a des problèmes. On s’est obstiné à le garder dans une prison à sécurité maximale même si les différentes Cours obligeaient le gouvernement à le sortir de là.
Quelques fois les mots me manquent et je ne peux que dire « imbéciles ».
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5 mois avant une audience importante pour moi j’ai appelé mon avocat. Il n’était pas disponible et j’ai laissé un message. Je sais que les avocats n’aiment pas se faire harceler alors j’ai attendu un autre mois pour l’appeler à nouveau. Il n’était toujours pas disponible, j’ai laissé un message. J’ai commencé à appeler à toutes les deux semaines, ensuite à toutes les semaines et, à la fin, à tous les deux jours. Il ne m’a jamais rappelé.
Lorsque je l’ai rencontré le jour de l’audience il a eu l’audace de me dire : « Tu m’appelles souvent! » Quand j’entends des choses comme ça, j’ai envie de hurler. Je lui ai seulement répondu que s’il m’avait répondu une seule fois, je l’aurais sûrement appelé moins souvent. Il n’a pas su quoi répondre. Mais je n’ai jamais eu d’excuses d’un seul avocat, peu importe quelles niaiseries ils pouvaient avoir faites. Je ne comprends pas comment leur cerveau fonctionne.
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Lorsque j’ai été arrêté on m’a amené dans une salle d’interrogation. Il y avait une table appuyée contre un mur et un gendarme de chaque côté. Je me suis assis au bout de la table, en face du mur. Quand ils ont commencé à me poser des questions, j’ai demandé si j’avais le droit à un avocat. Les gendarmes se sont regardés d’une drôle de façon et celui à droite s’est penché, et sans même regarder (il savait où c’était), a saisi une pancarte qui était cachée sous le bureau et l’a accrochée sur le mur, face à moi. Ils sont sortis. C’était la pancarte de l’aide juridique qui normalement doit être visible dans toutes les salles d’interrogatoire.
J’ai appelé l’aide juridique où on m’a dit de ne pas répondre aux questions des gendarmes mais, que de toute façon, je serais extradé en moins de deux semaines (mon premier contact avec un avocat et ça aurait dû être un indice du genre de conseils que j’aurais pour le reste de mes procédures d’extradition qui ont duré plus de 5 ans).
Lorsque j’ai consulté les documents de la preuve j’ai constaté que mon ex-femme avait été interrogée juste avant moi et que l’agente qui l’avait amenée dans la salle lui avait montré la pancarte de l’aide juridique qui était sur le mur et lui avait demandé si elle voulait appeler un avocat.
J’en ai donc conclu que les gendarmes avaient enlevé cette affiche juste avant que j’arrive avec le but évident que je ne la vois pas.
J’ai fait une plainte à propos de ça auprès de la Commission des plaintes du public contre la GRC. Le commissaire a répondu que j’avais lu les notes de l’agente qui avait amené mon ex-femme dans la salle d’interrogatoire et que ça m’avait donné l’idée d’inventer cette histoire. C’est fou comme ces « _______ » (choisir le mot approprié) font soudain preuve d’imagination et de créativité lorsque vient le temps de justifier les conneries qu’ils font.
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Lorsque je me suis représenté par moi-même (mon avocate était disparue) pour obtenir des éléments de preuve, j’ai demandé à avoir une copie des disques durs qui avaient été découverts dans mon ordinateur. On m’avait donné des disques de 40 GB alors que j’avais des disques de 60 GB. Comme c’était des copies miroirs, il manquait des informations. Windows ne pouvait même pas lire les disques.
L’ « expert » de la GRC est venu témoigner et le juge lui a demandé qu’est-ce qui faisait de lui un expert. Il avait eu une formation de trois semaines sur le logiciel Encase qui sert à découvrir des informations sur des disques durs. Il n’avait aucune autre formation en informatique. Il disait que tout était beau et que les disques qu’il m’avait donnés étaient fonctionnels.
Je lui ai demandé s’il les avait essayés et il m’a dit qu’en effet, les disques ne fonctionnaient pas sous Windows mais qu’il faudrait que je m’adresse à Microsoft, que c’était Windows XP le problème (un logiciel qui existait depuis des années et qui était très stable). Comment argumenter avec des « _______ » de cet acabit?
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J’ai un rapport d’expertise d’une chimiste de Santé Canada. C’est une farce d’un bout à l’autre. Je vous mets un extrait qui ferait rire même un enfant du primaire :
86.4g dans 996ml donnent 204 doses de 5ml, une dose contient 1.73g dans 5 ml de liquide
204 doses de 5ml donnent 1020ml dans mon monde à moi, pas 996ml. Et si j’ai 204 doses de 1.73g, ça donne 352 grammes pas 86 grammes.
Alors comment qualifier cette experte? Je ne trouve pas de mots à part celui dans le titre de ce billet. Comment peut-on écrire des conneries pareilles lorsqu’on sait que ça peut envoyer quelqu’un en prison pour des années? Comment ne même pas penser à prendre une simple calculatrice pour vérifier ces calculs lorsqu’on sait qu’on sera contre-interrogé? Et peut-être des gens vraiment coupables s’en sortent car leur avocat peut discréditer une « experte » et son rapport rempli d’erreurs de la sorte.
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Quand certaines personnes agissent d’une certaine façon et que j’essaie de comprendre pourquoi ils ont agi ainsi, lorsque j’essaie de me dire que ce sont des être humains qui ne sont pas que ce qu’ils font mais qu’il y a peut-être une raison pour ces agissements que je trouve idiots, quand je tente de rationaliser leurs actes, ça me rend fou.
J’ai décidé de lâcher prise et de me dire qu’il n’y a pas de raison, ils ne sont que des imbéciles. Ma vie est beaucoup plus simple ainsi. Mais avant de classer les gens comme “imbéciles” je leur donne une chance (et même plusieurs).
Je crois que le mot que je recherche est un mélange entre stupidité, malhonnêteté, mauvaise foi, imbécillité, idiotie, immoralité, escroquerie, bêtise, ineptie…
Comme je l’ai dit plus haut, j’accueille vos suggestions avec plaisir. Je voudrais enrichir mon vocabulaire.
Excellent billet… d’humeur!
Je ne trouve pas une seule épithète qui pourrait résumer ce que tu recherches comme adjectif pour qualifier ce genre de personnages…. me viennent quelques images littéraires : crétins supersoniques, anesthésiés de la fibre morale, tristes sires et adorateurs de la mauvaise foi. From the top of my head!
Merci Johanne, tu me fais bien rire! Puis-je utiliser ces mots biens choisis et appropriés?
Be my guest!
Ah oui! Je trouve que tu as été d’une patience…. En tout cas, je crois que perso, j’aurais pété les plombs une couple de fois face à autant de stupide inanité et d’incompétence crasse.
C’est pourquoi je dis souvent que le temps en prison était bien plus facile que celui entre mon arrestation et mon incarcération. J’étais entouré d’une bande d’idiots, je me suis demandé souvent si je n’étais pas devenu fou.
De l’incompétence à ce niveau, c’est de la malveillance. Et beaucoup d’autres mots qui me viennent en tête mais que je vais taire.
Toujours les mots pour me faire rire Sophie
🙂 des fois vaut mieux en rire… parce qu’il y a définitivement de quoi devenir fou.
Je riais beaucoup en effet 🙂
Je me souviens avoir lu Le Procès de Kafka à l’adolescence en me disant que c’était complètement surréaliste, mais en te lisant (et après avoir moi-même vécu qqs situations de fonctionnaires obtus et de dédales bureaucratiques insensés), je crois que Kafka a à peine exagéré bien souvent.
Et que dire de « La colonie pénitentiaire », du même auteur.
Yep. L’adjectif kafkaien a été créé pour une raison. 😉