L’éphémérité de l’odeur de la merde
Quelques fois, lorsqu’on vit une période difficile dans notre vie, il arrive un événement qui semble décupler le merdier dans lequel on est. Comme je le dis souvent, tout est une question de perspective et on peut s’acclimater à presque toutes les situations. On vit quand même sous un stress, on est plus fragile.
Environ un mois après mon arrivée à Moshannon Valley Correctional Center (MVCC), j’ai appris que j’avais des problèmes avec Revenu Canada. Cela faisait des années que ces gens me disaient qu’ils ne pouvaient pas répondre à mes lettres parce que je ne pouvais pas prouver que j’étais moi. Tout à coup ils décidaient de vendre tout ce que je possédais à l’encan. J’en ai déjà discuté dans un autre billet. J’ai travaillé fort pendant plusieurs semaines jusqu’à ce qu’on me dise qu’on s’était trompé et que c’était ailleurs que j’aurais dû faire un appel. Il était trop tard.
Ça a été un moment difficile mais je n’abandonnais pas. Je venais d’appliquer pour être transféré au Canada afin d’y finir ma sentence. Tout aurait dû normalement vite se passer car j’avais une recommandation du juge et l’accord du procureur. Une dame du consulat canadien m’avait même dit que je devrais être vite transféré et que je sortirais au sixième.
Quelques semaines plus tard j’ai reçu la réponse de Washington : mon transfert était refusé. La raison n’était pas donnée mais j’ai appris plus tard pourquoi. J’en discuterai dans un autre billet.
C’était encore quelque chose de difficile à vivre mais Kevin m’a dit qu’il était possible d’aller en appel. Quelqu’un dans mon dortoir l’avait fait et on avait renversé la décision.
J’ai donc envoyé une lettre pour expliquer pourquoi ces gens, selon moi, devaient changer leur décision et accepter mon transfert.
Quelques semaines plus tard j’ai reçu une réponse. On m’invitait à appliquer pour le transfert une nouvelle fois. J’étais content car pourquoi m’inviter à appliquer à nouveau si on avait l’intention de me refuser? J’en parlais aux autres détenus canadiens et ils me répondaient tous que ça n’était jamais arrivé et que c’était bon signe.
J’applique donc à nouveau et j’attends une réponse impatiemment. Je rêve à la liberté. Les choses me semblent un peu plus faciles en prison.
Quelques mois plus tard j’ai reçu ma réponse. Il y avait eu une erreur. J’avais été refusé et je ne pouvais pas appliquer.
C’était trop. Il y a comme un désespoir qui m’a submergé. Je n’en pouvais plus. Je ne pense jamais à me suicider mais c’est comme si j’avais le goût de dire : « déconnectez-moi et rebranchez-moi quand ce sera terminé, quand vous aurez fini de me tourmenter. Je ne suis plus capable. »
Je me souviens être sorti dehors pour marcher. Il fallait que j’aie une illusion de liberté, si mince soit-elle. J’ai rencontré Michal qui a commencé à me dire un paquet de niaiseries. Je l’aime beaucoup mais ce n’était pas le moment. Claude est ensuite venu me parler. Il veut bien faire mais il a ses limites, il voulait m’encourager avec des platitudes comme : « Tu sais Daniel, l’important ce n’est pas de réussir dans la vie mais de réussir sa vie. » (c’est un extrait du Jardin du Luxembourg de Joe Dassin). Je ne comprenais pas le rapport avec ce que je vivais mais, au moins, il m’avait écouté.
Ce qui m’aide beaucoup dans des situations comme ça est de me dire que ce désespoir, cette détresse ne seront que temporaires. Demain, même si je suis dans la même situation, je m’y serai habitué et tout me semblera moins noir. L’odeur de la merde reste mais, après un moment, on ne la sent plus.