Ma première sortie
Il faut que je commence par une petite anecdote qui m’est arrivée en prison.
Quand j’étais à la prison de comté j’utilisais souvent l’ordinateur pour consulter les preuves. Il y avait une petite salle avec un seul ordinateur alors on ne pouvait y aller qu’un à la fois. Un jour un autre détenu m’a demandé pour l’utiliser et il m’a fait un drôle de commentaire. Il était fâché parce qu’il croyait que j’utilisais toute l’encre de l’imprimante (c’était une imprimante cheap et il fallait souvent changer l’encre et les gardiens ne le faisaient pas souvent). Je lui ai dit respectueusement que je ne comprenais pas trop c’était quoi le problème car je n’imprimais rien, je ne faisais que lire des documents. Le gars est devenu fou, il voulait qu’on se batte. Il m’a demandé de venir avec lui dans un petit local où le gardien ne nous verrait pas et où il n’y avait pas de caméra.
J’y suis allé mais quand le gars a levé son bras pour me frapper, je n’ai rien fait. Je lui ai dit que je ne me battrais pas pour une niaiserie pareille. Il a finalement laissé tomber. Et c’est là qu’il a dit d’autre chose de bizarre. Il m’a traité de tapette (« faggot »). Je lui ai dit que je ne comprenais pas ce que mon orientation sexuelle avait à voir là-dedans.
Je n’avais pas à expliquer que je n’étais pas homosexuel car ça n’avait rien à voir avec la situation, même si je l’avais été, qu’est-ce que ça aurait changé?
Je raconte ça car je m’aperçois que je me retrouve souvent face à une situation semblable.
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Comme je travaille à la maison, je n’ai pas vraiment l’occasion de rencontrer des gens. J’ai commencé à faire un peu d’argent et je peux maintenant penser à avoir des sorties. Je me suis inscrit à reseaucontact et il ne se passait pas grand-chose. Il est vrai que j’avais mis que j’étais sorti de prison depuis peu.
La semaine dernière j’ai vu une annonce pour une activité qui m’intéressait. Une dame invitait des gens chez elle pour un repas-partage. Je trouvais que c’était une bonne idée. Je m’y suis donc inscrit. Je le dis souvent, il faut que je sorte de ma zone de confort.
Tout le monde était au courant à propos de mon passé (je l’ai dit à ceux qui ne le savaient pas) et je n’ai pas ressenti de gêne.
Là où c’est un peu gênant, c’est lorsqu’on me demande ce qui s’est passé. Je comprends la curiosité des gens et je l’explique sur ce site un peu mais jamais ce qu’a été mon véritable rôle dans cette histoire car ça n’a pas d’importance. Même si j’avais vraiment fait ce qu’on m’a accusé d’avoir fait, cela n’aurait pas été illégal. Alors je n’ai jamais eu à dire qu’en deux semaines de filature, la GRC ne m’a vu participer à aucune activité (en fait la seule chose qu’on a pu dire en cour est qu’il y avait quelques fois une lumière allumée la nuit dans mon bureau!?). Personne n’a su que je suis parti plusieurs fois de la maison (quelques fois plus d’un mois) et les activités continuaient, qu’il y avait des rapports de réunion rédigés par ces gens qui avaient été suivis et mon nom n’était jamais mentionné, le compte de banque saisi à l’étranger sur lequel on me demande de payer de l’impôt est au nom d’une de ces personnes…
Je ne nie rien et je ne donne pas d’explications plus complètes parce que ça n’a pas d’importance. Ces autres personnes ont été accusées et acquittées alors il est évident que même si j’avais commis tous ces actes, aucune offense n’aurait été commise.
Il est vrai que j’ai démarré une entreprise dans les années 90 mais elle a presque arrêté d’opérer en 2000 (deux ans avant mon arrestation). Il n’y avait plus de commerce avec les États-Unis. C’était assez pour mélanger la pauvre intelligence des gendarmes.
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C’était quand même ma première sortie et j’était un peu submergé d’émotions. C’était la première fois que j’étais avec autant d’inconnus à la fois depuis la prison et ce n’était pas le même genre de situation. Je crois que j’occupais un peu trop la discussion, j’avais un torrent de choses à raconter. Il y avait un gars assis à côté de moi qui était très intéressant mais il ne parlait pas beaucoup, j’aurais aimé en apprendre plus sur sa vie.
J’ai aussi bu un peu de vin et c’était la première fois. Je ne sais pas si ça a affecté mon comportement.
J’ai déjà discuté de mon premier baiser. Est-ce qu’il y avait quelqu’une là-bas qui se promenait avec mon premier baiser? Je ne sais pas mais il y avait des personnes avec qui j’aurais pris la chance de le gaspiller . Il y avait une des femmes qui me faisait frissonner à chaque fois qu’elle prononçait mon nom.
Lorsque je suis parti j’ai vu le mât du stade olympique et ça m’a ramené deux ans en arrière. Peu après mon arrivée au Centre Fédéral de Formation je marchais dans la cour et j’ai vu le mât du stade au loin par-dessus le mur. C’était la première fois en six ans que je voyais quelque chose qui me permettait d’avoir une idée de l’endroit où j’étais. Les gens qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas comprendre le sentiment d’être désorienté en permanence. Je l’ai déjà dit, j’ai vécu 15 mois dans un endroit sans fenêtres et il n’y avait pas d’horloge. On avait une idée de l’heure quand on recevait les repas. On savait quel jour on était par la sorte de céréale qu’on avait eu pour déjeuner.
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Ça a été une belle soirée. J’ai rencontré des gens intéressants. Il y avait quand même un problème. La dame qui avait organisé cette activité parlait (chialait) beaucoup de ses problèmes : mes parents ne m’ont jamais aimé, je n’ai pas eu d’enfants, je n’ai pas d’amis… Il y avait deux gentilles jeunes femmes qui étaient là qui avaient l’air très heureuses. Elles sont parties les premières et dès qu’elles ont quitté l’hôtesse s’est mise à « bitcher » sur elles. C’était très désagréable. J’aurais dû comprendre qu’il fallait que je parte mais je me disais que cette dame avait besoin de parler et je tentais de l’écouter de mon mieux. Elle s’est même mise à pleurer. Je dois avoir un problème d’attention car lorsque quelqu’un se met à me parler d’astrologie et de ses vies antérieures, je ne juge pas mais mon esprit se met à vagabonder. Je ne peux pas rester concentré.
Bien entendu la dame m’a demandé mon numéro de téléphone et ça m’a un peu surpris. Je lui ai donné. J’ai eu cette sortie samedi dernier et elle m’a déjà appelé deux fois dimanche.
Change de numéro, ne répond plus, bref, prend tes jambes à ton cou 😉
Pauline, tu trouves toujours les mots pour me faire rire!