La paix et la tranquillité en prison
Lorsqu’on fait du temps en prison il y a deux attitudes qu’on peut prendre. On peut décider que c’est ça notre vie pour l’instant et aussi bien s’organiser pour qu’elle soit heureuse. On peut aussi choisir de ne pas s’y faire, de se dire que ce n’est pas ça la vraie vie, de tout comparer à la vie extérieure, de se préparer à sortir etc.
Les premières années de mon incarcération je croyais toujours que j’allais gagner ma cause. Je ne pensais qu’à sortir. Je ne m’achetais rien, pas d’abonnement à des magazines ou des accessoires pour rendre ma vie plus facile. Même lorsque j’ai reçu ma sentence, je me préparais à partir car le juge, le procureur et même la dame du consulat m’avaient dit que j’aurais mon transfert vers le Canada rapidement et que je serais libéré vite car à ce moment-là les gens sortaient encore au sixième de leur sentence.
Malheureusement mon transfert a été refusé. Ça a été difficile au début. J’avais aussi beaucoup de choses légales à régler : mon transfert, des problèmes avec Revenu Canada, plainte contre la GRC etc.
Après un autre deux ans j’ai commencé à avoir une autre attitude et à arrêter de m’inquiéter. Ma vie c’était ici et maintenant. Je me suis mis à faire de la méditation et du bricolage. J’étais toujours très occupé et très souvent dans ma « zone ». Je lisais aussi beaucoup. Je dois dire franchement que je savais plus ce qui se passait dans le monde lorsque j’étais en prison que maintenant. Je suis aussi devenu plus docile ou pacifique, les choses ne me dérangeaient plus comme avant alors je laissais passer des choses qui normalement m’auraient dérangé.
J’ai mis un extrait d’une émission « Orange is the new black » qui me fait beaucoup penser à ce que j’ai vécu. On voit cette fille qui sort dans la cour pour aller lire tranquille. Elle parle aussi à un gardien qui est gentil. Lorsque ça fait plusieurs années que tu es en prison au même endroit et que tu respectes les gardiens, la plupart deviennent amicaux (tout en n’étant pas des amis). L’endroit où j’étais était différent de ce qu’on voit dans l’extrait vidéo. Je dormais dans un dortoir de 60 personnes avec lits à deux étages (ce qu’on voit dans le vidéo, ce sont des « cubes » avec murets de ~5 pieds). On n’avait pas le droit d’avoir des photos ou n’importe quel objet personnel qui traîne ou sur le mur. La couverture qu’elle a est identique et les vêtements sont les mêmes aussi. Si on regarde attentivement, on s’aperçoit qu’elle dort avec une couverture mais que, sous elle, son lit est déjà fait. Tout le monde fait ça dans les prisons américaines, le lit est toujours fait et on prend quelque chose d’autre pour se couvrir le corps (moi c’était un drap car on n’avait pas le droit à deux couvertures). Ça rend la vie plus simple comme ça. Quand les lumières clignotaient le matin, il fallait se dépêcher d’aller manger et il fallait absolument que notre lit soit fait pour 8h00 du matin. À la fin du vidéo on voit un poulet. C’est quelque chose qui va revenir dans plusieurs épisodes. Ça devient comme une obsession pour elle et les gens de l’extérieur ne comprennent pas pourquoi elle accorde autant d’importance à quelque chose d’aussi futile. Il y a vraiment une dichotomie entre notre perception de percevoir les choses. Par exemple, je demandais quelques fois à des gens de m’envoyer un catalogue IKEA. Les gens l’oubliaient souvent car pour eux ce n’est qu’un catalogue. Moi je lisais ce catalogue pendant des heures et plusieurs fois par semaine. Je dessinais des plans de petits appartements et j’y plaçais les meubles que « j’achetais ». Je rêvais, je m’imaginais vivant dans mon endroit à moi.
Pour revenir à ce que m’évoque cet extrait vidéo, je sortais souvent dans la cour le plus tôt possible (par exemple quand les autres allaient manger) pour faire ma méditation. C’était difficile de le faire dehors car les cours n’étaient pas grandes. Une était pour le terrain de soccer et l’autre pour le terrain de baseball. On ne pouvait pas vraiment être détendu quand les gens jouaient (ça veut dire à peu près toujours) car il était dangereux de recevoir un ballon ou une balle dans la figure. Il n’y avait pas de gazon ou d’arbres non plus. Mais je me souviens avec plaisir des fois où je sortais et qu’il n’y avait encore presque personne. Je m’installais dans ma position préférée et je méditais pendant environ une demi-heure. Par la suite je me joignais à des gens pour marcher. Car c’est ce qu’on faisait là-bas, on marchait. Le seul endroit où on pouvait rencontrer les autres, c’était la cour.
Sur la photo on voit l’endroit où on avait le droit d’aller. C’est la partie en bas au milieu, le champ de baseball. La partie centrale n’est que pour se rendre aux différents pavillons et on devait marcher sur les trottoirs. Il y avait aussi un terrain de soccer qui serait à gauche sur la photo.
On voit aussi la piste qui fait le tour du terrain de baseball. Les gens marchaient en rond toute la journée au travers des gens qui jouaient au baseball.
C’était bizarre cette atmosphère de petit village. Tout le monde se connait et prend le temps de discuter. C’est sûr que la vie n’y est pas très pressante.
J’ai donc trouvé la paix et la tranquillité en prison. J’étais très serein. Je m’étais bien promis de ne pas recommencer cette course folle de la vie « normale » lorsque je sortirais.
C’était quand même le danger de choisir de se faire à cette vie. Les gens en prison appellent ça l’institutionnalisation. On « désapprend » la vie de l’extérieur. Ça rend les choses difficiles lorsqu’on sort. En tout cas, c’est ce que moi je vis. Il faudrait que je conteste plus certaines choses mais elles me semblent tellement peu importantes comparativement à ce que j’ai dû accepter avant. J’ai appris à accepter à peu près n’importe quoi. C’est un des problèmes de ce qu’on nous fait vivre en prison. Si on demande à ce qu’on respecte nos droits, on se fait dire qu’on a un problème d’attitude et on nous garde en prison plus longtemps. Les injustices et les insultes viennent à nous glisser dessus comme l’eau sur le dos d’un canard. On nous « brise » mais ça ne nous prépare pas à la vie extérieure.
Il faut aussi que je sois à l’école à temps plein alors que je n’apprends plus aussi facilement que lorsque j’avais 20 ans, que je me recherche un emploi, que je règle mes problèmes d’impôt et on me demande en plus d’avoir une vie sociale. Tout ça est beaucoup pour moi. Le temps que je prenais pour moi me manque et j’essaie depuis quelques semaines de me rappeler qu’il faut que je prenne le temps de prioriser ce qui est important, de ne pas me laisser emporter dans ce tourbillon sans réfléchir. Que je me retrouve. Il faut que je me reconstruise mais je ne sais plus trop qui je suis. Ce n’est pas en courant partout que je vais le trouver.
J’avoue que quelques fois je suis fâché. Malgré qu’on me confirme que je n’ai enfreint aucune loi, on me soumet à toutes sortes de conditions et on me demande même de me trouver un emploi comme serveur de crème glacée alors qu’avant de me faire arrêter par les agents de la GRC (après qu’ils m’aient avisé que ces activités étaient légales) j’avais un bon emploi, un bon fonds de pension, une maison etc. Ces gens détruisent ma vie, m’empêchent de me trouver un emploi décent car j’aurais un « dossier » et m’obligent à respecter des conditions qui rendent ma vie encore plus difficile.
Le canard commence à avoir les plumes usées à force d’y laisser couler de l’eau.
Je regrette même quelques fois ma vie dans la prison américaine où il n’y avait personne qui jouait dans ma tête. Mais je n’ai qu’à aller prendre une marche une belle journée comme aujourd’hui pour me rappeler que tout ce que je vis maintenant, c’est un privilège. Il faut que je l’apprécie, chaque moment est un cadeau. Si je n’avais pas vécu ce que j’ai vécu, je passerais à côté de tout ça sans le réaliser.
Ah oui! C’était l’élection aujourd’hui. Je ne savais pas qui allait gagner mais je savais qu’un bandit serait élu. Je n’avais pas tort, quelle surprise!
Je suis un conducteur d’autocar (comme Orlans Express) et je voyage souvent aux États-Unis. Ben depuis l’épisode de ce chauffeur de camion qui avait été arrêté (pour homicide involontaire – 2 morts) dans l’état du Wyoming pour avoir conduit dangereusement sur une route glacée.
Il avait été libéré par la suite mais combien de temps avait-il réellement passé derrière les barreaux ? Avait-il dû traverser la « prise en charge » (prise de photos, fouille, empreintes, etc.) comme toutes personnes qui arrivent au County Jail avec des menottes aux poignets ?
Je ne sais pas et ne le saurai peut-être jamais et c’est qui m’engoisse. Oui, j’ai peur de commettre une erreur qui pourrait me mériter de faire du temps. je sais que, en 20 ans de conduite, rien n’est arrivé. J’ai toujours été prudent. Mais je suis juste terrifié à l’idée de me retrouver en terrain inconnu.
J’ignore comment tu t’étais senti pendant les premiers 48 heures. Moi je sais que je n’y arriverais pas. Je préfèrerais mourir que de devoir affronter cet enfer.
Zut, j’avais oublié d’inclure ce lien : http://www.journaldemontreal.com/2015/04/21/carambolage-meurtrier-au-wyoming-un-camionneur-quebecois-arrete
En voici un autre qui raconte sa libération : http://fr.canoe.ca/infos/societe/archives/2015/04/20150422-092110.html