Éloge de l’ephémérité
Je raconte souvent que mes plus purs moments de bonheur, je les ai ai vécus en prison, dans un pays loin des miens, dans un dortoir, entouré de 60 criminels où j’étais le seul canadien, le seul francophone, le seul blanc.
Les gens comprennent rarement.
Lorsqu’on a un peu de sagesse et qu’on est prêt à faire de l’introspection, on apprend vite dans de telles conditions que le bonheur est éphémère, qu’on peut le perdre à tout moment. Il y a donc une urgence de l’apprécier, d’en profiter quand enfin la vie nous l’offre.
La vie est plus simple en prison, la moindre chose peut nous rendre misérable ou heureux. Je vivais dans ce dortoir et les gens autour de mon lit étaient très bruyants (plus que des gens normaux peuvent l’imaginer). De plus j’étais en début de rangée et les gens s’amusaient à frapper mon lit lorsqu’ils passaient. Les lits (à deux étages) là-bas étaient vraiment mal fait. Quand quelqu’un frappait un des poteaux, ça résonnait comme une cloche. Après presque deux ans j’étais en train de devenir fou, j’étais tendu comme une corde de violon.
J’ai fini par obtenir un lit complètement au fond d’une rangée, entouré de gens tranquilles.
Ma vie a changé soudainement. Je suis devenu détendu. Les gens qui me tapaient sur les nerfs auparavant sont devenus des gens rigolos que je pouvais taquiner par rapport aux choses que je n’aimais pas auparavant (le bruit!).
Je faisais ma méditation tous les soirs en plus de toutes les fois où il faisait beau dehors. Je blaguais avec tout le monde alors qu’avant ils me rendaient fou.
Je savais que ce que je vivais, la vie pouvait me l’enlever à tout moment. C’était un bonheur éphémère et fragile. Je le vivais donc intensément et je profitais de chaque seconde. J’étais dans un état constant de béatitude et je ne prenais pas de drogue .
La vie est plus complexe dehors, c’est plus difficile d’identifier ce qui rend notre vie misérable et il y a habituellement plus d’un facteur qui nous empêche de vivre la félicité que j’ai vécue et c’est souvent plus difficile à régler.
Cette expérience m’a appris à vivre dans l’immédiat. Ce n’est pas toujours facile, quelques fois il se passe des choses qui s’impriment en nous sans qu’on sache pourquoi ou qu’on ait le choix.
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Mon frère a vécu des choses depuis six mois et il pouvait m’appeler 13 fois dans une soirée pour que je lui envoie de l’argent afin qu’il puisse manger alors que je savais que c’était pour de la drogue. Quand j’arrêtais de répondre, il m’envoyait des textos. Ensuite son ex m’appelait au milieu de la nuit pour me dire des conneries. C’était devenu très difficile.
Vers la fin de l’été mon père s’est mis à être malade sans qu’on sache trop pourquoi. Ce qui me rendait fou c’est qu’il avait perdu la voix et ne pouvait pas me parler. J’étais pris à Montréal alors qu’il est à Québec et que je n’ai pas le droit de me déplacer. En même temps je me disais que peut-être que mon père était tanné de mon frère et moi et qu’il voulait mourir tranquille. Je capotais.
En fin de compte j’ai fini par réussir à lui parler. Tout allait bien entre lui et moi.
Deux jours plus tard il est entré à l’hôpital et il est mort pas longtemps après. J’ai eu le temps de le visiter et d’être là plusieurs jours pour l’accompagner lui et ses proches.
C’est peut-être difficile à comprendre mais depuis que mon frère est en prison et que mon père est décédé, je vais mieux. Mon frère me rendait fou. Il était rendu dans la rue mais je ne pouvais pas lui donner d’argent pour manger car je savais qu’il l’utiliserait pour autre chose (et j’étais rendu sur l’aide sociale). Maintenant que je sais où il est, je sais qu’il ne meure pas de faim et qu’il prendra soin de lui.
Pour ce qui est de mon père, lorsque nous avons compris que c’était terminé, sa famille et ses amis proches sont tous venus le visiter et dès que ça a été fait, il nous a quittés. Je me reconnais tant dans ce désir de ne pas vouloir déranger. C’est bizarre que lorsque que ce n’est pas moi qui agis ainsi, ça me fâche un peu. Ça me fâche que quelqu’un ne veuille pas me déranger lorsqu’il a besoin de quelqu’un.
Depuis la mort de mon père j’avais un vide en moi mais ça a passé. J’étais surtout triste pour son amoureuse qui devra apprendre à vivre sans lui.
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Mais depuis une semaine c’est bizarre comme des gens se confient à moi avec ce qui les préoccupe. Beaucoup me disent ne pas trop comprendre pourquoi elles le font car, selon elles, je serais le seul à qui elles raconteraient certaines choses.
Ça me touche beaucoup car je sens une honnêteté dans ces échanges, une vraie connexion entre êtres humains. Quelque chose que la plupart des personnes ne peuvent vivre dans la vie « normale ». Des gens partagent leur vie avec moi et je me sens privilégié de tant de confiance.
J’en reviens donc à cette ephémérité. Il y a des gens autour de moi qui vivaient une belle vie à qui soudainement on a enlevé toutes leurs illusions. C’est ce qui est le plus triste, ce sentiment que ce qu’on vivait n’était que ça, un mirage. Ça nous enlève un peu espoir dans l’avenir. La prochaine fois qu’on sera heureux, peut-être qu’on perdra encore tout du jour au lendemain?
Ce que je comprends est que le passé ou l’avenir ne nous appartiennent pas (ou plus). La seule chose sur laquelle on a un certain contrôle, c’est la façon dont on vit le présent.
C’est donc ce qui m’arrive depuis quelques jours. Je vis une intensité dans mon bonheur et l’empathie que je ressens pour les personnes que j’aime.
Ça me rappelle ce que je pense depuis longtemps. Un jour je partagerai ma vie avec quelqu’un qui me fera remercier la vie tous les jours de cette chance que j’ai que nous nous soyons rencontrés et qu’on puisse vivre l’instant présent ensemble. Me réveiller et constater chaque matin que ma vie n’est pas un rêve.
En attendant de la trouver je suis heureux. J’ai mis mes limites avec les gens autour de moi (mon frère) et je me concentre sur moi.
Si on ne m’avait pas tout enlevé, je ne pourrais pas comprendre le bonheur de cette vie.
Plus jamais je ne m’endormirai dans le confort d’une vie ordinaire. La vie est une fête, un privilège, une occasion… Comprendre tout ça, c’est le cadeau que cette vie m’a fait.
Beau petit bijou de texte, my friend.
« My friend »! Tout un compliment de la part d’une personne d’exception.
Daniel,j’aime vraiment ton blogue…J’ai seulement fait du « Drunk tank » a Kelowna,Bc et,je pourrais actionner la GRC drette la…Comme tu dis,ils ne t’envoierons pas LES PAPIERS.
Je suis déjà allé à Kelowna (un échange bilingue lorsque j’étais au secondaire). J’en garde un très beau souvenir. C’est (presque) le paradis là-bas.
Espérons que le changement de gouvernement va m’aider un peu.
J’habite Oyama(etre Klow et Vernon),paradis des riches!.
Il y avait un gars de Osoyooz avec moi aux États-Unis. Il a été arrêté avec un sac à dos plein de drogue l’autre côté de la frontière. Il voyait sa maison d’où il était.
Je suis un agriculteur en Colombie-Britannique(cerises et pommes),J’engage un Québécois…Turned out,he was extanding his schezoprhenia pills! Il ma alors frappé avec un baton de baseball…Je l’ai frappé par apres,je me suis fait chargé de « assault with a weapon »…Kelowna,Bc.
C’est vraiment un texte inspirant qui nous remet beaucoup en question. Ces derniers temps, je pense toujours seulement en l’avenir, en ne prenant pas le temps d’apprécier le moment présent. Ton texte me parle beaucoup. Tu as une superbe plume.
C’est bien gentil. J’aimerais avoir le talent d’autres personnes. On m’a dit que je compense en authenticité. Ça fait du bien de savoir qu’on peut toucher d’autres personnes.
« J’aimerais avoir le talent d’autres personnes. » Je te lis depuis une heure, suite à un article de VICE avec un lien sur ton blogue. Tu as un très, très beau talent, Daniel. Tu n’as rien à envier à personne. Tes textes me touchent. Je te souhaite plein de belles choses.
Merci Josée, c’est bien gentil.