Est-ce que la prison endommage le cerveau?
Dès les premiers mois de mon incarcération à la prison de RDP j’ai remarqué quelque chose de bizarre. Ma mémoire à court terme n’était plus ce qu’elle était. Comme j’étais représentant du secteur, les gens me sollicitaient pour toutes sortes de choses. Si quelqu’un me demandait un papier ou autre chose, j’allais le chercher et lorsque je revenais, je ne me souvenais plus qui me l’avait demandé. Ça a fini par se placer. C’est vrai que c’était un environnement spécial. Il fallait que je connaisse tout le monde (44 détenus) et dans quelle cellule ils couchaient. Il y avait une moyenne de cinq nouveaux par jour et je courrais partout (j’allais à l’école tous les jours en plus de préparer les déjeuners de tout le monde etc.)
Avec les années je constatais que mon cerveau n’était pas aussi agile qu’il était. Je faisais pourtant de mon mieux pour lire et essayer d’apprendre des choses le plus possible.
Un jour j’ai lu un article sur la mémoire qui m’a fait comprendre quelque chose. Je ne sais pas si ces informations sont vraiment prouvées mais il y était expliqué que pour se rappeler de choses qui se passent dans notre vie, on essaie normalement de se souvenir où et quand c’est arrivé. Par exemple quand on essaie de se souvenir qui on a rencontré sur l’heure du dîner on imaginera où on a mangé etc.
Le problème avec la prison est qu’on est toujours au même endroit et avec les mêmes gens. Tous les jours sont identiques. À la prison de comté je pouvais savoir quel jour on était en me souvenant quelles céréales on avait eues pour déjeuner. C’était toujours pareil.
Il y a aussi qu’en voyant toujours la même chose on a pas beaucoup l’occasion de solliciter notre cerveau.
J’ai aussi appris que le sommeil prend une part importante dans la fixation des souvenirs (je ne me souviens plus de quelle phase du sommeil) et on ne peut pas dire qu’on a une bonne qualité de sommeil quand on dort avec 60 autres gars qui toussent, pètent, ronflent, etc.
Dans mon cas il m’arrivait de me demander si quelque chose était vraiment arrivé ou si je l’avais rêvé.
Avant que quelqu’un me le dise, je dois avouer que je ne rajeunis pas.
Tout ça fait que je remarque qu’il y a des choses qui sont plus difficiles qu’avant. Lorsque je programme, j’ai de la difficulté à me souvenir de listes de variables qu’il faut que je modifie. Je comprends comment les choses fonctionnent mais j’ai plus de difficulté à apprendre les choses par cœur.
Quand j’étais en maison de transition, je remarquais que les anciens détenus me racontaient toujours les mêmes histoires même s’ils me les avaient déjà racontées 10 fois. C’était probablement mon cas aussi.
J’ai aussi appris sur le stress et il semble qu’il y a un stress très nuisible pour la santé. C’est lorsqu’on n’a pas le contrôle sur sa vie. Par exemple même si les dirigeants d’entreprise vivent sous pression, ils sont moins malades que les employés en bas de l’échelle. On ne peut pas dire qu’on a vraiment le contrôle sur ce qui nous arrive en prison.
Lorsque j’étais à RDP la professeure de Art, Culture et Société (une personne extraordinaire qui a changé ma vie) nous a raconté que pour avoir une bonne santé mentale il faut que quelqu’un ait des contacts personnels intimes (câlins, massages…) plusieurs fois par jour. On n’a pas ça en prison.
Plusieurs personnes m’ont dit que la prison leur avait fait du bien et qu’ils en étaient sortis plus en forme. Ces personnes faisaient le party un peu trop dehors et profitaient de leur séjour pour se sevrer de tout l’alcool ou la drogue qu’ils prenaient. Ils faisaient de l’exercice et mangeaient bien. C’est sûr que faire ça un an ne peut que faire du bien pour la santé.
C’est quand ça dure des années et plus que ça devient difficile pour le corps et l’esprit. Et lorsque tu as un paquet de problèmes à régler, qu’on te transfère d’une prison à une autre en te menant nu et que à chaque fois tout est à recommencer, c’est encore plus difficile. Quand tu fais de ton mieux pour t’en sortir et que pendant des années on te répond des niaiseries. Tout ça ça use.
En plus, on ne peut pas dire que j’ai reçu les mêmes soins de santé que si j’étais resté hors de prison.
Ça m’amène à un autre sujet que j’ai peut-être déjà abordé.
Je me souviens d’avoir reçu des lettres du gouvernement et d’avoir dit à mes « collègues » : « pourquoi ils ne m’envoient pas une arme à feu s’ils veulent me tuer? » Comment ne pas être affecté quand tu te bats pendant un mois à envoyer des lettres partout pour éviter qu’on vende le peu qu’il te reste dans le monde et qu’on finit par te répondre : « on s’est trompé, c’est à tel autre endroit qu’il fallait que tu envoies tes lettres. Il est trop tard maintenant, l’encan est demain matin ».
Mais lorsqu’on t’enlève tout et que tu n’as plus d’espoir, ça soulage. Soudain tout devient plus clair. La peur ne t’obscurcit plus l’esprit. Quand on ne peut plus rien te prendre et qu’il ne te reste plus que qui tu es. On ne peut plus te définir par ce que tu fais ou ce que tu possèdes mais par ton essence même.
C’est là que j’ai compris que c’était ça ma priorité. Trouver qui j’étais.
Lorsque j’étais plus jeune j’ai eu une entreprise à Thetford Mines où je faisais la vente d’ordinateurs. Un médecin était venu acheter un ordinateur et il m’expliquait que sa femme aussi était médecin et qu’ils avaient une clinique dans un petit village. Il m’a raconté que ce serait très facile de travailler beaucoup en prévoyant des tests pour tout et en demandant aux patients de revenir pour n’importe quelle raison. Il a continué en disant que si un médecin peut avoir beaucoup d’argent en travaillant beaucoup, eux avaient compris qu’un médecin peut gagner assez en travaillant peu.
Je n’ai jamais oublié ce qu’il m’a dit. La folie de la vie m’a empêché de vraiment y penser mais je me promets bien de ne pas l’oublier dans le futur.
Je n’ai pas d’enfants qui comptent sur moi financièrement. Je n’ai pas de paiements de maison, voiture etc. Je mets de la nourriture sur la table et un toit sur ma tête et c’est suffisant (et une connexion Internet!) Tout ça ne me coûte presque rien. Je ne veux pas m’étourdir au point d’oublier qui je suis et où je vais.
C’est quelque chose que j’essaie de me rappeler. Ne pas amasser de bien matériel car on en devient prisonnier. On devient aussi prisonnier d’un emploi qu’on n’aime peut-être pas car on a des obligations. Et être prisonnier est la dernière chose que je veux pour moi.