Noël en prison
Dernièrement on m’a demandé ce que je ferais à Noël et on s’inquiète parce que je serai seul. Quand les gens entendent ça, ils m’offrent d’aller chez eux ou me disent que ça n’a pas d’allure.
Depuis que je suis adulte, Noël n’est pas une fête spéciale pour moi. Probablement à cause de cette pression pour participer à des activités ou rencontres auxquelles je ne tiens pas à aller. Comme je ne suis pas quelqu’un de religieux, ce jour n’a rien de spécial. C’est sûr que lorsqu’on a des enfants, c’est toujours plaisant de vivre l’émerveillement et la magie de cette nuit à travers leurs yeux.
Il ne faut donc pas s’inquiéter pour moi si je passe Noël seul.
On m’a aussi demandé comment Noël se passait en prison alors j’ai fait une description courte de chacun des endroits où j’ai passé Noël :
Prison de Rivière-des-Prairies (2007) :
Cette année-là la prison avait organisé deux activités : un bingo et une fête avec un chansonnier.
J’étais dans un secteur de prévenus (des détenus qui attendent leur procès) et il y avait un bon roulement. Les gars arrivent et partent le même jour ou peu après parce qu’ils obtiennent une liberté sous caution.
Comme il fallait réserver quelques jours avant l’activité même, ce n’est pas tout le monde qui pouvait y aller car beaucoup de gens étaient déjà partis.
J’ai bien aimé l’activité avec le chansonnier dans le gymnase. Quoique c’était un peu décourageant lorsqu’on voyait les gardiens qui nous regardaient avec un air renfrogné. Ce n’était pas le temps de s’exciter et d’avoir trop de fun.
J’ai déjà montré dans un autre de mes billets comment ça se passe à RDP pour les visites. Il y a quand même des visites « contact » dont les détenus peuvent bénéficier. Il y a plein de conditions et ce n’est qu’à tous les deux mois (dans les faits c’est plus que deux mois) et à Noël il y en a une spéciale. Les gars revenaient de là tout mélangés. C’est difficile quand tu vois tes enfants, tu les prends dans tes bras et qu’ils se mettent à pleurer et crier lorsque c’est le temps de partir.
Le 24 décembre au soir on a reçu un petit buffet avec des sandwiches en triangle.
Nous sommes retournés en cellule à la même heure que d’habitude. J’étais en cellule avec Mustafa, un jeune musulman un peu idiot (pas parce qu’il était musulman), et Marc, un québécois de souche (je ne sais pas trop comment dire ça) d’à peu près mon âge avec qui je m’entendais bien. Mustafa s’est couché sur son matelas par terre et Marc et moi avons commencé à écouter la musique traditionnelle à la radio (avec chacun notre radio et nos écouteurs). On dansait ensemble sur les sets carrés. Ce Marc-là était un drôle de numéro.
Pour Mustafa, Noël n’était pas important mais il a trouvé le 31 décembre difficile. Il était sûr d’être libéré le 19 décembre (son avocat avait négocié qu’il aurait « temps fait ») mais finalement c’était le 19 janvier. Quand les portes ont fermé le 31 décembre au soir, il était très fâché. Marc et moi avons encore dansé.
J’ai entendu dire que les détenus deviennent comme fous à minuit le 31 décembre. Ils donnent des coups de pied dans les portes et crient mais ce n’est pas arrivé dans notre secteur.
Le temps des fêtes est difficile en prison car les palais de justice sont fermés et il n’y a donc personne qui se fait libérer. Le secteur est déjà plein et personne ne quitte le matin pour aller au palais de justice ou l’école. Les activités sont fermées. Les tensions augmentent car si quelqu’un te tapent sur les nerfs, il n’y a pas de répit.
J’imagine aussi que tous les gens qui se font arrêter se retrouvent dans le gymnase pour tout le temps des fêtes car les secteurs sont déjà tous plein et personne ne part. Il y avait tant de surpopulation qu’ils ont même installé une laveuse et une sécheuse dans la salle de bain du gymnase.
Allegany County Jail (2008) :
Le 24 décembre nous avons déjeuné comme d’habitude à 6h00 et sommes retournés en cellule. C’est le moment où il y a un compte, distribution des rasoirs (il faut s’inscrire la veille pour recevoir un rasoir), récupération des rasoirs et changement de quart de travail (« shift »). On devait normalement ressortir vers 8h30 pour faire le ménage (obligatoire à tous les jours) et prendre notre douche (aussi obligatoire. Si quelqu’un ne prend pas sa douche, personne ne peut diner).
Ce matin-là nous ne sommes pas sortis. On ne savait pas pourquoi (c’est toujours comme ça en prison). Tout à coup, l’équipe « tactique » est arrivée et on a eu un « shakedown » (une fouille). Lorsqu’on a fouillé ma cellule, on a trouvé un crayon que j’avais trafiqué pour qu’il soit plus long (j’enroulais un papier autour des crayons parce qu’ils étaient trop courts). On m’a mis en punition pour 24 heures. Je ne m’en faisais plus avec ça car il trouvait toujours quelque chose dans ma cellule et je ne faisais même plus attention. 24 heures en cellule ce n’est rien. Je ne me gênais plus pour y ramener des fruits etc.
Ça me faisait quand même bizarre d’être enfermé comme ça la veille de Noël. Mais j’étais loin d’être le seul. Plus de la moitié des gens du secteur étaient « punis ».
Le lieutenant est passé plus tard et est venu nous parler un à un et nous a « dépunis ».
Plus tard on nous a donné chacun un gros sac de cochonneries : des chips, chocolats, biscuits etc.
Pour ce qui est du côté religieux de cet endroit, je ne peux que dire qu’il y avait une petite salle dans notre secteur où il y avait des « Bible study » chaque soir de différents prêcheurs. Je ne me souviens pas s’ils ont fait quelque chose de spécial pour Noël.
Je ne peux pas parler de la visite à cet endroit; je n’y suis jamais allé.
Moshannon Valley Correctional Center (2009, 2010, 2011) :
Je ne crois pas qu’il y ait eu des visites spéciales pour Noël.
On a respecté une tradition américaine dans notre secteur à chaque Noël : on écoutait Christmas Story. TBS passait ce film plusieurs fois par jour pendant quelques jours. Je vous ai mis l’extrait classique de ce film.
À Noël, la prison nous sert un repas spécial : de la dinde, farce, patates douces, tarte à la citrouille (merveilleusement bon, pourquoi on n’a pas ça ici?)
On reçoit aussi un sac énorme de cochonneries. Quelques gars n’y touchent pas et l’envoient à leurs enfants.
Le 31 décembre il y a vraiment un gros party. Les latinos sont vraiment des gens généreux. Je me souviens que dans mon dortoir, il y avait des gars qui cuisinaient toute la journée. Ils mettaient des plastiques (des sacs de poubelles volés) sur les tables et y étendaient la nourriture qu’ils avaient préparée. Il y avait une table pour des nachos, une autre avec des croustilles en tous genres etc.
Dans le jour la porte entre les deux dortoirs adjacents est débarrée et on peut circuler entre les deux dortoirs. Ça nous donne accès à plus de choix de télés et on peut voir les gens de l’autre dortoir quand on veut. La porte se barre normalement à minuit.
Mais le 31 décembre à minuit tout le monde devient fou, tout le monde crie, se donne l’accolade et se souhaite bonne année. On traverse de l’autre côté pour la souhaiter à tout le monde qu’on connait.
Les gardiens passent pour un compte vers 00h30 et barrent les portes. Comme c’est un dortoir, on est encore tous ensemble (sauf les gars de l’autre dortoir). Les gars se préparent des « Mexican red bull » (ils mettent deux sacs de café, un sac de kool-aid et du pepsi dans un thermos) et ne dorment pas de la nuit. C’est leur rave à eux.
Centre fédéral de formation (2012) :
C’est drôle que ce soit le plus récent et que ce soit celui dont je me souviens le moins. Il semble que rien ne m’a marqué vraiment. Peut-être parce que j’étais maintenant habitué?
Un peu avant Noël il y a eu une visite « communautaire ». Les détenus pouvaient recevoir leur famille dans le gymnase et il n’y avait à peu près pas de surveillance. Les détenus payaient pour leurs invités car il y avait un repas spécial. Je n’y suis pas allé mais c’était quand même une journée spéciale car les gens revenaient si heureux. Ça faisait du bien à tout le monde (sauf peut-être des jaloux qui n’avaient pas pu y aller). Moi ça me rend heureux de voir des gens heureux. Ce n’est pas comme à RDP car les détenus du CFF peuvent voir leur famille régulièrement et ont même des permissions de sorties.
Au Canada il y a un maximum qu’on peut dépenser en cantine à chaque mois (aux États-Unis aussi mais c’est plus élevé et c’est beaucoup moins cher) mais on a le droit à une cantine spéciale de Noël avec des articles différents et plus luxueux. Ce sont les détenus qui paient. Ça me fait chier d’entendre les gens dirent que les détenus mangent des steaks et du homard en prison. Il y a eu des abus il y a longtemps (même si c’était les détenus qui payaient) mais maintenant les détenus peuvent s’acheter certaines choses et il y a un maximum qui n’est pas beaucoup. Et les détenus qui n’ont pas d’argent à l’extérieur ne gagnent pas assez en prison pour se payer bien des gâteries (surtout avec les changements de Harper).
Maison de transition (2013) :
J’ai déjà écrit comment ça s’était passé mon premier Noël depuis ma « liberté ». J’étais quand même en maison de transition et c’était donc plus compliqué car je ne pouvais aller à Québec que du 24 au 27 décembre. Ça devient difficile de planifier quelque chose surtout lorsqu’on t’avise seulement quelques jours à l’avance sur les dates de permission.
** Il est important de noter que tous les frais engendrés par les activités spéciales sont payés par le fonds des détenus. Rien n’est payé par la « société ».
*** Mustafa a été libéré le 19 janvier et était de retour en prison le 21 janvier. Ça lui a pris deux jours pour faire une autre connerie.
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