Le Respect en prison
Si la prison était une religion, respect en serait le premier commandement. Comme dans toutes les religions, le mot est utilisé à tort et à travers et on l’utilise pour justifier des choses aberrantes.
Lorsque j’étais représentant du secteur à la prison de Rivière-des-Prairies je devais accueillir les nouveaux et leur expliquer nos règles. Bien entendu il y avait toujours quelqu’un pour dire: « je connais ça la prison, l’important c’est le respect. Pas besoin de savoir autre chose. » Justement mon imbécile, si tu avais du respect, tu m’écouterais jusqu’à la fin. C’était souvent avec ces gens-là qu’on avait des problèmes.
Le respect est important car ce n’est pas comme la vie extérieure. On vit les uns sur les autres et les gens ne sont pas tous patients. Quand quelqu’un passe devant nous à l’épicerie ou à la banque on n’en fait pas toute une histoire, on est entre gens civilisés (à part celui qui nous a coupé bien entendu). Si quelqu’un passe devant moi, c’est parce qu’il est pressé, ce n’est pas dirigé contre moi. Mais en prison c’est une autre histoire. Si quelqu’un prend mon tour, crie à côté de moi pendant que je suis au téléphone etc. c’est un manque de respect envers moi. C’est à moi qu’il s’attaque. C’est comme s’il me disait en pleine face que pour lui, je ne suis qu’un tas de marde.
Je me souviens d’une fois où j’avais un cours de piano et les gars se pratiquaient en attendant la professeure (c’était le seul cours qui n’étais pas donné par un détenu). On devait normalement utiliser des écouteurs mais il y en a un qui a décidé qu’il n’en avait pas besoin. Bien entendu on n’entendait plus ce qu’on jouait. Mon ami le polonais (il parlait espagnol, français, anglais, polonais, allemand, russe) est allé voir le gars pour lui demander poliment, en espagnol, de mettre des écouteurs car on ne s’entendait plus jouer. Le gars s’est mis à crier « respect! respect! » Tout à coup c’est nous qui lui manquions de respect. Mon ami l’a laissé parler. Si quelqu’un « oubliait » de me remettre un magazine qu’il m’avait emprunté, je lui manquais de respect si j’osais lui demander de me le rendre. Hey mon cave, si tu me respectais, je n’aurais pas besoin de te le demander.
Il est arrivé assez souvent que des gens fassent des choses qui me rendaient fou de rage. J’avais reçu une lettre à propos de mon transfert qui disait que si je me comportais bien en prison peut-être que je finirais par avoir mon transfert alors j’endurais bien des choses.
Le seul moyen d’envoyer des lettres enregistrées et des colis était d’aller au R&D (Receiving and Discharge) une seule fois par semaine le mercredi matin à 9h00. Comme on ne peut sortir que 5 minutes à toutes les heures, les gars se mettaient près de la porte de leur secteur et dès que les portes débarraient à 9h00, une cinquantaine de personnes se ruaient vers le R&D. Comme mon secteur était le plus près, j’arrivais dans les premiers. Il y avait toujours deux ou trois gars avant moi qui arrivaient de la bibliothèque.
Les deux premiers arrivés allaient directement au comptoir car il y avait deux gardiens qui s’occupaient de nous. Le reste devait aller dans un genre de cellule temporaire avec des grands bancs et on nous appelait un à un pour s’occuper de nos envois. Les gens s’assoyaient sur les bancs en ordre d’arrivée comme ça on savait qui était le prochain. Bien entendu il y avait toujours un imbécile qui arrivait dans les derniers qui se mettait dans la porte et qui passait devant tout le monde. À chaque fois ça me fâchait mais je ne faisais rien. Dans le monde d’où je viens, on laisse les choses faire car on n’utilise pas la violence. Il y a aussi que je ne voulais pas avoir de problèmes, surtout devant les gardiens.
Mais un jour j’ai reçu ma lettre qui disait que j’avais le transfert. Il a donc fallu que j’aille poster mes effets car on ne peut pas amener grand-chose avec nous. Je suis donc arrivé dans les premiers mais il y avait quelqu’un que je connaissais qui était arrivé juste avant moi. Il ne savait pas trop comment ça fonctionnait alors je lui ai expliqué de s’asseoir près de la porte car il serait le premier à passer dès qu’un des deux gars au comptoir aurait terminé. Bien entendu le dernier arrivé s’est installé dans la porte, prêt à passer devant tout le monde. Une fois tout le monde entré dans la petite salle j’ai dit à haute voix au gars que je connaissais de se mettre dans la porte car le gars essaierait de passer devant tout le monde. C’est ce qu’il a fait et il est passé à son tour. Pendant ce temps l’idiot était toujours dans la porte et moi je suis resté assis. Comme j’étais assis je ne voyais pas la progression des choses au comptoir. Tout ce que je faisais, c’est regarder l’imbécile dans la porte. Dès qu’il s’est mis à marcher, je l’ai attrapé par la manche et ramené à l’intérieur. Il s’est mis à se débattre et à me dire de le lâcher. Je lui ai dit calmement d’attendre son tour. Je savais que les gardiens nous regardaient. « Mais je n’ai qu’une lettre à envoyer! » Je lui ai répondu que tout le monde était là pour ça et qu’il faudrait qu’il attende son tour. Là les autres ont embarqué et lui ont dit d’aller s’asseoir dans le fond. Je l’ai lâché et je suis allé au comptoir.
C’est drôle comme ça m’a fait du bien.
Lorsque je suis arrivé au Canada on m’a fait passer par le Centre Régional de Réception. Cet endroit permet de classer les gens par niveaux de sécurité. Les gars ne veulent donc pas de problèmes. Si tu as un accrochage avec quelqu’un tu risques de te retrouver dans un medium au lieu d’un minimum. Bien entendu il y a des gens qui se foutent de tout ça et manquent de respect envers tout le monde. Il y en avait un particulièrement qui me rendait fou. Il coupait la file pour réserver le téléphone ou pour aller manger, il criait dans la rangée etc. Bien entendu il pouvait un jour se mettre à crier que quelqu’un avait manqué de respect en « flushant » la toilette vers 7h30 le matin (il ne faut pas flusher la nuit dans les prisons canadiennes).
J’ai fini par être transféré au Centre Fédéral de Formation (CFF) qui était encore un minimum et lui était parti dans un medium. Environ un mois après que le CFF soit devenu multi-niveau j’ai vu mon imbécile arriver. Il avait fait quelque chose de pas correct à l’autre prison où il était et on l’avait transféré pour sa sécurité. Ça me dérangeait plus ou moins car je n’avais jamais eu affaire directement à lui et nous n’étions pas dans le même secteur.
Par contre un jour nous faisions la file pour prendre notre repas et il s’est passé quelque chose. Au CFF il y a deux lignes mais lorsqu’on arrive au comptoir on passe chacun notre tour: un gars de la file de droite, ensuite un de celle de gauche. C’est assez simple il me semble. Cet imbécile essaie de passer devant moi. Oh que non! Je mets ma main devant lui et le fait reculer tranquillement et je lui dis qu’ici, il ne passerait pas devant moi. « Calme-toi! C’est pas si grave. » Alors tout doucement je lui ai dit: « Écoute, si c’est pas si grave, ça ne te dérangera pas d’attendre TON TOUR. Et s’il y a un problème entre nous deux, lequel de nous deux sera transféré ailleurs selon toi? » Je n’ai plus eu de problème avec lui mais quelqu’un d’autre l’a battu et il a fini par être transféré à Port Cartier, l’endroit pour les gens dont on ne veut nulle part.
Eh oui, il y a des prisons pour ces gens-là. Je me souviens qu’un jour un nouveau est arrivé à la prison et il a demandé s’il pouvait s’asseoir à ma table. Je lui ai dit qu’il pouvait car il y avait une place libre ce jour-là, un gars était parti faire du bénévolat. Quand je lui ai demandé de quelle prison il arrivait il m’a dit qu’il avait été à Port Cartier et ensuite Macaza (prison pour les détenus ayant commis entre autres des crimes à caractères sexuels). Je lui ai dit qu’il serait préférable qu’il se trouve une autre place pour les autres repas. La prison étant pleine de prédateurs sexuels, il trouverait sûrement un endroit où on l’accepterait.
Depuis ma sortie j’ai un peu de difficulté avec cette notion de respect. Je ne suis pas quelqu’un de violent alors ça n’a aucune conséquence à part le fait d’avoir le sang qui bouille plus vite. Les premières fois que j’étais en classe et que quelques personnes parlaient en m’empêchant d’entendre le professeur, c’était comme une gifle. J’avais juste envie de me lever et de leur crier de se fermer la gueule et qu’ils manquaient de respect envers tout le monde. Il fallait que je me rappelle qu’on en faisait des niaiseries dans ma jeunesse à l’université. Si quelqu’un passait devant moi dans n’importe quelle file, le métro etc. ça me pompait vraiment. Ça ne durait que quelques secondes et la logique remplaçait le réflexe mais je m’apercevais que j’étais différent. Je ne suis plus la même personne.
Il y aussi peut-être le fait qu’on m’a manqué de respect trop longtemps et souvent. Et je ne parle pas que des détenus, ce sont surtout les autorités qui m’ont traité comme du fumier. Quand ça fait des années que ça dure et que tout à coup je pourrais me laisser aller sans conséquence (dans les limites du raisonnable), c’est plus difficile de me maîtriser. Non, la prison ne nous prépare pas du tout à la vie extérieure. J’en suis sorti comme un presto (cocotte-minute) prêt à exploser.
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