Être un criminel
Lorsque j’étais à la prison fédérale aux États-Unis mon père et sa copine sont venus me visiter. C’était la première fois que je rencontrais l’amie de mon père. Je l’aime beaucoup, elle est très gentille. Elle a dit quelque chose que je constate maintenant beaucoup. Elle a regardé autour de nous à la salle de visite et m’a demandé s’il y avait des criminels. J’ai été un peu surpris. Je lui ai dit que nous étions tous des criminels. Tout le monde avait été trouvé coupable d’un crime. Elle m’a expliqué qu’elle voulait dire des « meurtriers » ou quelque chose du genre. Tous les gens autour de nous avaient l’air de bons pères de famille, de bons maris, des gars tranquilles.
C’est une notion avec laquelle les gens ont de la difficulté. Ils s’imaginent que les criminels sont des gens violents, qu’ils font partie d’un groupe criminalisé ou qu’ils ont fait quelque chose de vraiment grave (violer, voler une banque, tuer quelqu’un…)
Je suis sorti de prison et tout le monde s’imagine que c’est fini. Ils s’imaginent que ce qui m’est arrivé, ce n’est pas grave, que mes problèmes sont terminés et que je suis libre. Ce n’est pas le cas. Lorsque je suis allé chez ma sœur à Noël tout le monde a été surpris que j’aie un couvre-feu (j’étais encore en maison de transition). C’est drôle qu’ils trouvent mes conditions difficiles, que ça n’a pas d’allure alors que je n’ai qu’un couvre-feu alors que quand j’étais en prison dans des conditions pas faciles ça ne les touchait pas du tout.
Les gens de ma famille me parlent de quelque chose et je leur dis que je ne peux pas pour telle ou telle autre raison et ça les dépasse. Mon frère (qui habite à Montréal) m’a offert de venir avec lui à Québec pour visiter mon père. Je pourrais en profiter pour voir mes enfants etc. Le problème est qu’il partait en vacances pour une semaine et qu’il voulait y aller après, le 30 ou 31 juillet et qu’on reviendrait deux ou trois jours plus tard. Mais non, il faut que je sache quel jour et à quelle heure je pars. Il faut que je sache qui va conduire et le numéro de plaque de la voiture. Il faut que je fasse la demande au moins une semaine à l’avance.
Après plusieurs mois en équipe avec quelqu’un à l’université j’ai fini par dévoiler à mon coéquipier que j’avais fait de la prison. Ça l’a étonné mais ça s’est bien passé. Un jour je lui montrais ce site sur la page paix et tranquillité. Il a vu la partie où on voit les détenues qui font du tai-chi. Il m’a demandé si c’était vraiment comme ça, qu’on pouvait faire du tai-chi en prison. J’ai été tellement surpris. Qu’est-ce qu’il s’imaginait? Que les gens étaient attachés et ne pouvaient pas bouger comme ils voulaient? Pour lui cette prison c’était un « resort » et ça semblait trop doux. C’est sûr que cette prison est un camp où la sécurité est minimale mais quand même, on peut faire ces choses dans un medium aussi et peut-être même maximum.
Pour beaucoup de gens, des criminels, ce sont des gens qui méritent d’avoir des conditions de détention horribles. Alors quand ils voient que je n’ai pas l’air d’un « criminel », ils se disent que je n’en suis pas un et par conséquent je n’ai pas tous ces problèmes.
Mais non je suis classé comme un criminel. J’ai les mêmes problèmes qu’un meurtrier. Je ne peux pas obtenir un emploi au fédéral ou dans une grande entreprise. Je ne peux pas avoir un emploi où il faudrait que je voyage occasionnellement en dehors de 50km. Si j’ai une entrevue pour un emploi en dehors du 50km, il faut que j’avise mon agente au moins une semaine avant pour obtenir un « permis ». Si je me fais une blonde, il faudra que j’avise mon agente qui ira enquêter sur elle et lui dévoilera tout sur mon « dossier » (pour moi ce n’est pas grave mais pour certains ce n’est pas évident). Peu importe le montant d’argent que je gagne ou dépense, il faut que mon agente le sache. Je ne peux pas avoir une entreprise qui vend des produits. Je dois postuler sur au moins trois emplois par jour.
Je suis chanceux car je n’ai pas de conditions de fréquentation. Les gens qui ont cette condition doivent demander à quelqu’un qu’ils rencontrent et qu’ils risquent de rencontrer souvent s’ils ont un dossier car ils n’ont pas le droit de les fréquenter. J’ai connu des gars qui se cherchaient un logement avec colocataire et qui devaient demander si l’autre personne avait un dossier. Difficile de se trouver un logement dans ces conditions lorsque tu dois expliquer pourquoi il ne faut pas qu’il y ait d’autres personnes avec un dossier où tu habites.
Mon gros nounours appelait ça des barreaux invisibles. Être dehors mais pas vraiment libre, se faire rappeler à tout moment qu’on peut revenir en prison.
Les rayures, on ne les voit peut-être pas mais elles sont tatoués en moi, je les sens.
5 réponses